Fertans, 6 février 2016
Résumé de l’intervention de Albane Geslin
L’objectif de la présentation était double.
D’une part, premier temps de l’intervention, essayer, à titre exploratoire, et au seul regard de l’ordre juridique international, d’interroger la présence ou l’absence, le surgissement ou la disparition, la reconnaissance ou le déni de ce que l’on pourrait, a priori, identifier comme des figures plébéiennes – peuples colonisés, peuples autochtones. Il s’est donc agi de proposer une lecture socio-politique de la plèbe, de là où il y a de la plèbe, et de m’interroger sur les modalités selon lesquelles l’ordre juridique international – les États, le droit et les institutions qu’ils produisent – réagit face à ces figures plébéiennes.
Cette première partie visait ainsi à proposer des réponses à la question « Quelle(s) figure(s) plébéienne(s) sur la scène juridique international ? ».
Pourquoi postuler que les peuples colonisés et autochtones représentent des figures plébéiennes ?
Il me semble que les gestes produits par les peuples colonisés et les peuples autochtones révèlent une subjectivité plébéienne ; mais également que la réaction de l’ordre juridique international à leur égard (à leur encontre serait plus juste) met en lumière un « devenir-plébéien » de ces peuples.
Si l’on observe les gestes des peuples colonisés par exemple, on constate qu’ils traduisent l’affirmation d’une figure éruptive contre la norme, qu’il y a eu contre-conduite. En effet, certains ont pris les armes contre le colonisateur, alors même que le recours à la force armée est interdit en droit international ; ils ont proclamé leur indépendance, ont donc fait sécession, alors qu’un des principes fondamentaux de cet ordre juridique est le respect de l’intégrité territoriale de l’État ; ils en ont appelé aux organisations internationales, alors même que celles-ci ont interdiction de s’ingérer dans les affaires intérieures des États.
Pour les peuples autochtones, la situation est comparable, mais non similaire : il y a geste de rupture par rapport à l’ordre étatique, à l’ordre diplomatique, un refus de l’assimilation, refus de l’expropriation des terres ancestrales, parfois exprimé par la violence physique, une revendication de singularité qui ne s’accommode pas de l’universalisme proclamé des droits fondamentaux, universalisme qui n’est autre, on le sait, qu’un européanisme.
Peuples colonisés et peuples autochtones ont ainsi produit des gestes d’émancipation. Cependant, ce ne furent pas des gestes émancipateurs. Cet apparent paradoxe résulte de « la force du droit » pour reprendre l’expression de Bourdieu.
Cédric Cagnat écrit que « Le génie propre du démocratisme réside dans son mode de gestion des conduites oppositionnelles. La ”démocratie de défiance”, comme l’appelle élogieusement Rosanvallon, a en effet substitué aux dispositifs de coercition et de répression dont faisaient usage les formes antérieures de gouvernement, la valorisation idéologique des entreprises contestataires, leur encadrement officiel et leur encodage législatif systématique, autant de procédures qui ont permis à l’actuel régime politique de désamorcer toute critique »[1].
Il en est de même dans l’ordre juridique international : ses producteurs – États et organisations internationales – avec l’appui d’autres, telles des organisations non gouvernementales, vont enclore les oppositions, les contestations dans un cadre normatif, vont donc les normaliser. La membrane trouée se reconstitue.
On constate que trois procédés ont été mis en place au moyen du droit ; procédés que j’isole les uns des autres pour les besoins de l’argumentation, mais qui sont liés, qui se mêlent, se composent et se recomposent, se nourrissent les uns les autres : l’enfermement normatif, l’assignation et le déni de reconnaissance.
– Enfermement normatif
Ce processus d’enfermement normatif diffère concrètement selon que l’on observe ce phénomène à l’égard des peuples colonisés ou à l’égard des peuples autochtones, mais la logique est la même. Dans les deux hypothèses, il y a « normalisation » de la contestation.
Les peuples colonisés ont, dans certains cas, pris les armes pour mettre fin à la colonisation, parfois soutenus par des États étrangers. Face à cette irruption de la violence, l’ordre juridique international pouvait réagir de deux façons :
* soit considérer que ces actes étaient illégaux (contraires à l’interdiction du recours à la force armée), et les réprimer, plus précisément apporter son soutien à la répression par les États colonisateurs et sanctionner les éventuels États complices de ces insurrections.
* soit ne pas réprimer. Mais il fallait pour ce faire trouver un principe justifiant la non-répression, sachant que la Charte des Nations Unies n’imposait pas aux États de décoloniser.
C’est cette seconde option qui a été choisie, le rapport de force n’étant pas en faveur des États colonisateurs. On prit appui sur le principe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », inscrit dans la Charte, mais qui ne visait initialement pas les peuples colonisés, mais les nations sortant de la seconde guerre mondiale.
On transforma ainsi les insurrections en guerres de libération. Et l’Assemblée générale des Nations Unies élabora toute une série de normes visant à légaliser ces contestations. Ainsi, les guerres de décolonisation devinrent une exception à l’interdiction du recours à la force armée. L’appui apporté par des États tiers n’a pas été qualifié d’acte d’agression à l’encontre de l’État colonisateur. Et, en retour, la répression de ces insurrections par les États colonisateurs devinrent des actes illégaux, sur lesquels le droit international avait prise, puisque ces répressions ont été qualifiées d’atteinte au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de « grave menace à la paix mondiale ». Légaliser les guerres de décolonisation conduit ainsi à tout un « encodage législatif » : application des règles du droit de la guerre, dont principalement le droit international humanitaire. Éventuellement intervention du Conseil de sécurité.
De même, afin de ne pas heurter de front l’obligation de respecter l’intégrité territoriale de l’État colonisateur, intégrité à laquelle, de fait, il était porté atteinte par le mouvement sécessionniste, l’Assemblée générale posa le principe selon lequel « le territoire d’une colonie ou d’un autre territoire non autonome possède, en vertu de la Charte, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l’État qui l’administre »[2].
Enfin, il est prévu que « Lorsque cela se révélera nécessaire, des représentants des mouvements de libération seront invités par l’Organisation des Nations Unies et par d’autres organismes des Nations Unies à participer, selon qu’il conviendra, aux débats que ces organes consacreront à leur pays »[3]. Ainsi, ces « mouvements » de libération nationale se trouvent-ils figés dans un protocole diplomatique très strict : ordre de parole, minutage précis de cette prise de parole, absence de droit de vote… protocole auquel s’ajoute le jeu de la « représentation », donc de la mise à distance du peuple insurrectionnel.
Ainsi, le droit a-t-il absorbé l’insurrection, il l’a enfermée, contrôlée, domestiquée.
Pour ce qui est des peuples autochtones, le processus d’enfermement est également à l’œuvre, mais de façon plus implicite et subreptice. Il prend en effet appui sur les revendications mêmes des peuples autochtones et sur la reconnaissance des droits de ces peuples.
Quelques éléments pour comprendre.
Les conceptions du droit sont des conceptions du monde visible et invisible, propres à chaque société. Donc le plus souvent irréductibles – à un degré ou à un autre – aux représentations des autres cultures. Sous couvert de raison et d’idéologie du progrès, l’Occident a sur-valorisé sa culture juridique au détriment des autres. Si les rencontres et les confrontations de cultures juridiques ne sont pas choses nouvelles, elles sont contestables lorsque l’une – la culture juridique occidentale – se donne le rôle dominant dans cette rencontre.
L’un des premiers actes de violence juridique fut la reconnaissance des droits autochtones au moment de la colonisation. L’objectif était alors de poser la préexistence du juridique (et non seulement du normatif) à l’arrivée de l’Occident, notamment par l’usage du concept de « coutume ». Cependant, ainsi que le souligne l’anthropologue du droit Louis Assier-Andrieu, la finalité n’était autre qu’« une entreprise d’acculturation, d’imposition de catégories extérieures, de forçage systématique d’une conception occidentale du juridique à l’intérieur des sociétés locales. (…) non seulement préméditée mais rigoureusement programmée selon un mode d’emploi dominé par l’idée de “conciliabilité”, c’est à dire d’identification du semblable »[4].
Louis Assier-Andrieu souligne également que « [l]e droit, tel qu’il se présente dans les sociétés occidentales, est un fait de culture et, comme tel, une possibilité dont certaines sociétés ont très légitimement pu faire le choix de se passer, en concevant d’autres solutions pour installer en leur sein la normativité qui chapeaute toute société »[5].
Les normes régulatrices des sociétés autochtones ont le plus souvent principalement pour objet, non pas de planifier les activités de la collectivité, mais de régler des différends entre personnes ou entre être humain et être non-humain, de restaurer la paix, l’harmonie et la stabilité au sein du groupe, plutôt que de donner raison à l’un ou l’autre.
Ce faisant, se produit un effet de distorsion. Et la violence qu’il induit peut être aggravée lorsque des droits, et plus largement des concepts juridiques sont intégrés, pour ainsi dire à marche forcée, dans des normativités qui les ignorent. « Le concept [juridique] a les pieds dans la tourbe »[6], il ne peut donc être transplanté d’un terrain social à un autre sans précaution ni vigilance. L’ethnocentrisme occidental de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail est à cet égard très net lorsque, à l’article 14 § 1 et 2, il est précisé que
« [l]es droits de propriété et de possession sur les terres qu’ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples intéressés (…) Les gouvernements doivent en tant que de besoin prendre des mesures pour identifier les terres que les peuples intéressés occupent traditionnellement et pour garantir la protection effective de leurs droits de propriété et de possession ».
Or, quel sens véhicule le concept de « propriété » ? Produit de l’histoire occidentale, il présume un double mouvement de mise à distance et de réification, d’objectivation. D’une part, une distanciation entre l’humain et le non-humain, une extériorité du non-humain, objet naturel ou manufacturé, par rapport à l’humain ; d’autre part, une réification du non-humain, associée à l’exclusivisme de la subjectivisation de l’humain, distinction opérée en vertu d’une conscience que l’humain ne reconnaît qu’à lui-même. L’humain, sujet, appréhende le non-humain comme un objet extérieur à lui-même, pour s’en rendre propriétaire, pour exercer un pouvoir sur cette chose. Les peuples autochtones – de façon générale – ne se sont pas engagés dans un processus de réification de la nature. Ils entretiennent avec leur environnement une véritable synergie : les connaissances traditionnelles sont intimement liées aux ressources et aux lieux sur lesquels elles portent, lesquels sont eux-mêmes intimement liés aux êtres qui vivent et ont vécu de ces ressources. L’espace et les ressources qui s’y déploient sont non seulement sacralisés, mais également bien souvent humanisés[7].
Aussi, « si les groupes ou les individus ont des droits sur des territoires, des biens ou des personnes, ce n’est guère que par métaphore qu’on peut les assimiler à la propriété car, ce faisant, on prive les choses “appropriées” du sens que leur confèrent les populations concernées »[8].
Ce faisant, « reconnaître » un droit de propriété aux peuples autochtones sur leurs territoires et les ressources qui s’y trouvent, de même que les reconnaître « propriétaires » de leurs savoirs traditionnels, vise davantage à attribuer des droits à ces peuples qu’à reconnaître leurs droits, les formes spécifiques de normativité de ces sociétés qui prennent appui sur leurs propres « arrières-plans topiques »[9]. Le monde occidental et occidentalisé se parle, mais n’écoute pas les peuples autochtones, poursuivant ainsi l’œuvre des « reductcones » des colons jésuites du XVIe, XVIIe et XVIIIe s.
– Assignation
Le processus d’assignation est double : assignation étatique et assignation coloniale.
Sur l’assignation étatique, il n’y a pas à développer longuement. Il suffit de lire le principe VI de la résolution 1541 : « On peut dire qu’un territoire non autonome a atteint la pleine autonomie : a) Quand il est devenu un État indépendant et souverain ; b) Quand il s’est librement associé à un État indépendant ; ou c) Quand il s’est intégré à un État indépendant »[10].
Or, l’État est une forme d’organisation politique européenne. C’est cette forme qui a été imposée aux pays nouvellement indépendants : démocratie libérale représentative, prenant appui sur la notion de Nation.
Cette assignation étatique est en outre à multiples niveaux car, une fois les États constitués, il a été rappelé au-x peuple-s qui le constituaient, le principe du respect de l’intégrité territoriale. On a donc pu dire que le droit à l’autodétermination externe (i.e. se constituer en État) était un droit à usage unique. C’est la raison pour laquelle, par exemple, les Nations Unies ont mené une action militaire de fin 1960 à 1963 pour s’opposer aux velléités sécessionnistes du Katanga au Congo (devenu RDC).
Cette assignation étatique s’est doublée, pour les peuples colonisés, d’une assignation coloniale. En effet, il a été posé le principe selon lequel l’État nouvellement indépendant gardait pour frontières les limites de l’ancienne colonie. Au nom de la stabilité… Ainsi, pour ces peuples, le temps colonial ne passe pas.
Il en va de même pour les peuples autochtones. En effet, l’article 1er de Convention 169 de l’OIT va en fixer une définition :
« 1. La présente convention s’applique : (…) (b) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les pays indépendants, qui sont considérées comme aborigènes du fait qu’elles descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation et qui, quel que soit leur statut juridique, mènent une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles de cette époque qu’aux institutions propres à la nation à laquelle elles appartiennent.
L’un des premiers critères de reconnaissance des peuples autochtones (« aborigènes » selon la Convention 169) posés par l’OIT est donc un critère exogène, un critère renvoyant à l’Occident colonisateur, lequel continue donc de se voir au travers de ces peuples, et leur renvoie, de ce fait même, cette image, maintenant ainsi, longtemps après les proclamations d’indépendance, un colonialisme interne. En outre, « peuple autochtone » devient une catégorie juridique qui, comme toute catégorie juridique réduit, uniformise, contraint, voire essentialise, et intègre ses « bénéficiaires » dans un discours universalisant s’il en est, celui du Droit. Ainsi que le précisait Bourdieu, « le droit est sans doute la forme par excellence du pouvoir symbolique qui crée les choses nommées et en particulier les groupes »[11].
– Déni de reconnaissance
les peuples autochtones sont en demande de reconnaissance. La Déclaration des droits des peuples autochtones, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007, a été unanimement (ou presque) considérée comme consacrant cette reconnaissance.
En effet, devant l’Assemblée générale, en septembre 2007, les États expliquant leur vote, en faveur ou en défaveur de la Déclaration ont abondamment usé de la rhétorique de la « reconnaissance » ; de même la doctrine souligna quasi-unanimement que la Convention 169 de l’OIT et la Déclaration des Nations Unies de 2007 constituaient une avancée considérable en matière de protection, en ce qu’elles « reconnaissent » les droits des peuples autochtones, l’occurrence de ce substantif et de ses dérivés dans les instruments considérés est relativement faible. En effet, un rapide tour d’horizon fait apparaître, si on se limite à l’emploi du terme relativement aux droits des peuples autochtones, quatre occurrences dans la Convention 169 – articles 5 (a), 14, 23 et 27 [12]– et dix dans la Déclaration – alinéas 2, 18 et 21 du préambule, articles 26 § 3, 27, 31, 37, 43 et 44.
Cependant, si l’on se concentre notamment sur la Déclaration, dans ses différentes versions linguistiques[13], on constate que le plus étonnant est ailleurs.
Dans le préambule de la Déclaration, on constate qu’à six reprises, lorsque les termes « Recognizing » et « Reconociendo » ouvrent la proposition, ils n’ont pas comme équivalent français « Reconnaissant », mais « Consciente » et « Considérant ».
Une brève étude des documents préparatoires du Groupe de travail de la Commission des droits de l’homme chargé d’élaborer le projet de déclaration permet de constater que les travaux se sont principalement déroulés en langue anglaise ; ce faisant, la version française des documents n’y était, techniquement et officiellement, qu’une traduction. Or, dans cette hypothèse précise, il apparaît que « Recognizing » a pour traduction « Reconnaissant », et ce jusqu’à la transmission du projet de déclaration à l’Assemblée générale. En revanche, lorsque le projet de déclaration est transmis à l’Assemblée dans ses six versions linguistiques officielles, chacune d’elles faisant donc foi, « Reconnaissant » disparaît du préambule. Comment interpréter cette substitution ?
Faute de disposer d’une explication émanant du ou des rédacteurs francophones de la Déclaration, seules des hypothèses peuvent être émises. Faut-il voir dans l’emploi de la locution « considérant », en lieu et place de « reconnaissant », la marque d’une tradition française/francophone dans la rédaction des préambules de déclaration ? Cette interprétation n’est pas dénuée de fondement, notamment à la lecture du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont toutes les propositions commencent par « considérant » ; cependant, ce terme a, alors, pour équivalent « whereas » ou « considerando ». Au demeurant, l’un des alinéas du préambule de la Déclaration de l’UNESCO sur la race et les préjugés raciaux de 1978 commence par « recognizing », lequel a pour équivalent « reconnaissant ». En revanche, alors que le préambule de la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de 1993 comporte à trois reprises le terme « Recognizing »[14], « Reconnaissant » n’est mobilisé qu’une seule fois[15], « Considérant » lui étant préféré. Ce faisant, une certaine « tradition française » pourrait parfaitement expliquer la substitution des termes.
Il n’est cependant pas inutile de rappeler que, dans la Déclaration de 2007, contrairement à ses devancières, toutes les équivalences francophones des « recognizing » antéposés ont disparu au profit d’autres locutions. À défaut de pouvoir en donner une explication définitive, il est néanmoins possible de s’interroger sur les effets produits par cette substitution, au regard des enjeux de reconnaissance évoqués précédemment.
Dans le cadre du préambule de la Déclaration, la reconnaissance peut faire l’objet de plusieurs interprétations, alors que les faits de considérer ou d’être consciente n’ouvrent pas des horizons herméneutiques aussi complexes. Ainsi, « [Reconnaître] la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples autochtones… »[16], n’a pas la même portée qu’être « Consciente de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir » ces droits. « [Reconnaître] en particulier le droit des familles et des communautés autochtones de conserver la responsabilité partagée de l’éducation (…) de leurs enfants »[17] ne soulève pas les mêmes enjeux que « [Considérer] le droit des familles (…) à conserver la responsabilité partagée de l’éducation » des enfants. Alors que la reconnaissance implique une posture dynamique, un aller-vers l’autre[18], cette connotation n’est pas portée par les termes « consciente » et « considérant », lesquels renferment l’idée d’un regard observateur, fixe, neutre et plus distancié.
Au demeurant, les thèmes sur lesquels portent la « recognition » sont éclairants quant aux enjeux qu’il y a à l’emploi du terme – et donc, en creux, quant aux enjeux qu’il y a à ne pas employer ce terme – : droits inhérents des peuples autochtones sur leurs territoires et ressources, droits qu’ils tiennent des traités conclus avec les États, droit d’assurer l’éducation des enfants, droit d’être traités sans discrimination, caractère collectif des droits, diversité des situations des peuples autochtones. À cela s’ajoute le fait que la locution antéposée « Recognizing » se trouve répétée à six reprises, quasi anaphore, produisant un effet rhétorique que l’emploi de « consciente », à deux reprises, et de « considérant », à quatre reprises annihile.
Enfin, au regard de l’histoire des politiques publiques menées à l’égard – à l’encontre – des peuples autochtones (assimilation, placement des enfants en familles d’accueil non autochtones…) on pourrait lire dans cette « reconnaissance » l’expression d’une forme de repentir, que la version française de la Déclaration ne laisse pas apparaître. Quand on sait les difficultés qu’il peut y avoir en France à faire reconnaître par l’État certains actes passés[19], et les débats animés autour de ces questions, dans les communautés tant politique que scientifique, le glissement lexical et sémantique apparent entre les différentes versions de la Déclaration ne laisse d’interroger. D’autant plus que, lors des débats qui se sont déroulés devant l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2007, le représentant de la France fut l’un des rares à ne pas employer le terme « reconnaissance » ou ses dérivés[20].
On le constate, la reconnaissance des droits des peuples autochtones n’est pas chose anodine, elle semble faire violence aux gouvernements ; mais la violence est principalement subie par les peuples autochtones. Car si le droit est l’expression par excellence du pouvoir symbolique de nommer, il est également l’expression du pouvoir de ne pas nommer. C’est une autre façon de protéger la membrane.
Les peuples colonisés, quant à eux, ont-il subi un déni de reconnaissance ? J’aurai, initialement, été tentée de dire non. En effet, le droit international de la décolonisation a posé le principe du droit des peuples à l’autodétermination, qui s’affirme dans son volet externe par la constitution d’un État, puis, une fois celui-ci établi, l’autodétermination s’exprime dans son volet interne, à savoir par le biais des élections notamment. Le peuple est bien reconnu. C’est cependant oublier que, comme le précise Alain Brossat, « [l]a composition d’un peuple est un processus dynamique qui se produit toujours en situation et dénonce le mensonge des conventions selon lesquelles les destins respectifs du peuple et de l’État auraient vocation à coïncider, et, aussi bien, le peuple, ce peuple-pour-l’Etat constituerait l’entité sans reste, la totalité populaire appelée à exercer sa souveraineté par le moyen providentiel de sa coïncidence avec l’État »[21]. Il poursuit en précisant que « à l’encontre de ce que tentent d’accréditer le récit étatique et le discours national, le peuple n’est pas seulement divisé, il est constamment porté à se fragmenter en peuples opposés et incompatibles, dans la mesure même où l’opération à laquelle ils tendent consiste pour un peuple (l’un d’entre eux) à tenir la place du peuple – être reconnu comme tel, parler comme tel, etc. En règle générale, dans l’ordinaire des choses, cette opération s’exerce au bénéfice du peuple de l’État, du peuple des élections, des institutions – de la police et de la règle du jeu. Dans ces temps-là, la fiction du supposé fait majoritaire parvient bon an mal an à imposer ses conditions au public »[22].
Et l’on rejoint ici l’assignation étatique du peuple colonisé, qui, au surplus, n’est pas « un ».
En posant le principe d’un droit à l’autodétermination externe à usage unique, on maintient la fiction d’un peuple, unique, s’exprimant par le biais des élections. Cela conduit à faire de la multi-ethnicité de la plupart des États post-coloniaux une question purement interne (ou quasi, puisque le droit international connaît des règles en matière de protection des minorités, mais il faut attendre 1992 pour qu’une Déclaration soit adoptée aux Nations Unies[23], et 1995 pour que soit adoptée par le Conseil de l’Europe la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales).
Conclusion
Je soutiendrai, à la suite de Michel Miaille, que « chaque système social construit et produit des formes spécifiques de violence et (…) le droit lui-même exprime ces formes particulières. (…) le droit loin d’être le contraire de la violence n’en est qu’une des formes instituées : et cette institution varie avec le mode d’organisation sociale »[24]. En outre, cette forme de violence est d’autant plus difficile à percevoir qu’elle est introjectée par les individus et les groupes, elle est « une partie de mon mode de vie, de mon réel social dont je suis aussi le producteur »[25]. C’est en ce sens que la violence du droit est une violence symbolique.
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Dans un second temps, il s’est agi d’explorer comment, en tant qu’enseignant-chercheur en droit il était possible de produire un geste plébéien. En effet, pour paraphraser Olivier Razac (parlant de la philosophie), la discipline juridique est « une pratique d’autorité au service de l’autorité » (in « une philo plébéienne »). Ce faisant, le juriste, enseignant-chercheur pourrait se retrouver contraint, consciemment ou non, de reproduire le discours de l’autorité (et non pas seulement un discours d’autorité, qui pourrait être considéré comme commun à tous les discours produits par les enseignants). Comment donc se déprendre de cette posture, ou imposture ? Quel geste plébéien pour l’enseignant-chercheur en droit ? Serait-ce une posture intenable, donc une imposture ? Une posture qui fait illusion, voire qui se fait des illusions ?
Pour reprendre Olivier Razac, on reconnaît « la philosophie patricienne à la liaison entre philosophie et détermination de la vérité » et qu’on peut identifier la « pratique plébéienne de la philosophie » à « une attitude critique radicale, permanente et indéfinie. Son but n’est pas de retrouver un fondement mais de supprimer la possibilité de penser tout fondement de vérité ou d’autorité »[26].
Un ouvrage, paru dans les années 1950, a été le guide du questionnement proposé ici. Une Introduction à l’étude du droit[27], écrite par huit auteurs[28] et se voulant en rupture avec l’approche classique de l’enseignement du droit de l’époque (et encore majoritaire dans les facultés).
– Vie sociale du droit
La prétention de cet ouvrage était, entre autres, « de rapprocher le plus possible les faits juridiques et économiques des autres manifestations de la vie sociale. Outre que cette conception (…) paraît juste et féconde, elle (…) a semblé également la plus propre à attirer les jeunes esprits, à leur faciliter le passage du connu à l’inconnu »[29]. Se trouve, de ce fait, clairement affirmée une unité d’intention, rejetant une approche technicienne au profit d’une vision sociale du droit. Il ne s’agit en effet pas, de façon générale, de proposer aux étudiants de licence une simple introduction aux cours de droit qu’ils recevront spécifiquement dès la première année. Il s’agit bien davantage, d’une part, de replacer la discipline étudiée – droit civil, droit constitutionnel, histoire du droit, économie politique, etc. – dans le cadre beaucoup plus large des études de droit[30], visant ainsi une certaine mise en cohérence du cursus de licence proposé par les Facultés de droit[31]. L’ambition est, d’autre part et plus largement, de situer le droit, et ses multiples déclinaisons, dans la vie sociale.
– Diversité des approches théoriques sur le droit
En outre, l’ouvrage se présente comme une série de huit chapitres, chacun écrit par un auteur différent, chacun assumant des postures théoriques différentes de celles de ses co-auteurs.
Qu’on en juge. Paul Esmein, partant du constat que le droit est un système de règles sociales, précise qu’il ne se distingue des autres règles sociales (morale, mœurs, bienséance, usages, modes) ni par son rôle social, qui est d’assurer la sécurité, la paix et la fluidité des rapports sociaux, ni par son objet[32] ; en revanche, il s’en distingue, d’un point de vue pratique, par ses sources. En effet, « [d]ans un pays organisé en régime d’État (…) tous les litiges doivent, en principe, être tranchés par des juges statuant d’après la loi, la coutume ou les règles qu’ils ont posées eux-mêmes. On peut dire que dans un tel pays sont règles de droit celles que les juges constatent ou créent pour fonder leurs décisions, bref celles qu’ils reconnaissent comme telles »[33]. Pour sa part, Henri Lévy-Bruhl, part d’un point de vue somme toute a priori très classique : « [l]e droit est un ensemble de règles obligatoires déterminant les rapports sociaux tels que la conscience collective du groupe se les représente à tout moment »[34]. Il en vient, cependant, au nom d’une conception réaliste du droit, à affirmer qu’il « n’hésiter[a] pas (…) à considérer comme des règles de droit des prescriptions observées de facto, ou, au contraire, à éliminer des règles qui n’existent que sur le papier »[35]. Enfin, Gabriel Le Bras dit du droit que s’il « dépend de la société, s’il est l’expression d’un état social, il modèle à son tour la société, parfois la renouvelle contre ses volontés ou ses espérances. Instrument des classes dominantes, il favorise leur ascension et parfois leur déclin »[36]. On est assez éloigné de la conception du droit que les juristes majoritairement partagent[37].
Cependant, cette posture est parfaitement assumée, revendiquée même, par ses auteurs, l’avant-propos de l’ouvrage se concluant en ces termes : « [d]evant les problèmes généraux qui sont exposés dans ces pages, la diversité d’attitude des maîtres est un stimulant pour les jeunes esprits qui reçoivent ainsi non pas une doctrine toute faite, mais les éléments leur permettant d’alimenter leurs réflexions, et de se faire une opinion en connaissance de cause. Et cette invitation à la liberté de leur pensée n’est peut-être pas, parmi les leçons incluses dans ces volumes, la plus négligeable »[38].
– Pluridisciplinarité au service de l’étude du droit
Les auteurs en appellent également, explicitement ou non, à la mise en œuvre d’une démarche pluri- voire interdisciplinaire, non seulement dans le cadre de leur propre contribution, mais plus largement dans celui des études de droit[39]. « Connaître la terre et les hommes avant d’analyser les servitudes ! Géographie, démographie et aussi anthropologie, caractérologie, folklore, vous donneront le sens du concret, du vivant »[40], telle est la perspective dans laquelle Gabriel Le Bras souhaite inscrire les études de droit.
Henri Lévy-Bruhl ne dit pas autre chose : « le juriste dominera d’autant mieux sa matière qu’il connaîtra le milieu social où il vit. Il est excellent qu’il possède des notions d’économie politique. Il ne serait pas moins désirable qu’il reçut des éléments de sociologie, de géographie humaine, de psychologie collective, etc. »[41]. Léon Julliot de la Morandière souligne pour sa part que, pour comprendre les évolutions du droit civil, il est nécessaire « de connaître les doctrines philosophiques, économiques et sociales de notre temps et les faits historiques qui en ont amené l’éclosion et le développement »[42]. Quant à Maurice Byé, il inscrit sa démarche dans une perspective comparable. Il précise, en effet, qu’il s’efforcera, pour chacun des points étudiés, « de faire ressortir son importance à l’égard des problèmes posés par d’autres disciplines (histoire, philosophie, droit…) et son intérêt »[43]. De façon plus générale, il affirme également, à l’adresse des étudiants désireux de se spécialiser en économie politique, qu’ils « agrandiraient utilement leur horizon par des études portant sur : la philosophie, sans laquelle les grands courants doctrinaux comme le libéralisme et le marxisme sont incompréhensibles, la sociologie, la géographie humaine et économique, l’histoire des faits économiques qui fournissent un ensemble d’éléments susceptibles d’interprétations théoriques et expliquent la nature et l’évolution des systèmes et des structures »[44].
L’enjeu méthodologique est ici crucial. En effet, cette approche pluridisciplinaire peut être perçue comme étant la condition de l’attractivité des études de droit. En effet, non seulement elle permet de « faciliter le passage du connu à l’inconnu »[45], des études secondaires aux études supérieures mais elle est également l’indispensable vecteur de l’ancrage social du droit. Ainsi, les initiateurs de cet ouvrage s’inscrivent-ils dans une démarche visant à « en finir avec la conception des écoles de droit et avec un enseignement qui considère le droit comme un univers séparé et clos »[46].
Pour conclure
Sans prétendre que la posture assumée par ces auteurs ait été une posture plébéienne, on peut néanmoins considérer leur démarche d’ouverture disciplinaire, d’acceptation, voire de valorisation des contradictions, comme susceptible de guider l’enseignant-chercheur en droit vers une posture qui ne serait pas au service de l’autorité dont son objet d’étude semble intrinsèquement porteur.
[1] « Michel Foucault : user, abuser, mésuser. En lisant Le plébéien enragé (1) ».
[2] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 2625 (XXV), 24 octobre 1970, Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies.
[3] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 2621 (XXV), 12 octobre 1970, Programme d’action pour l’application intégrale de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays coloniaux.
[4] L. ASSIER-ANDRIEU, Le droit dans les sociétés humaines, Nathan, 1996, p. 92.
[5] Op. cit., p. 101.
[6] L. ASSIER-ANDRIEU, Présentation de K.N. LLEWELLYN et E.A. HOEBEL, La voie Cheyenne, Bruylant, 1999, p. XI.
[7] Sur la diversité des perceptions du monde par les peuples autochtones, voir Ph. DESCOLA, Par-delà nature et culture, NRF Gallimard, 2005, notam. chapitres 9 à 11.
[8] M.-E. HANDMAN, « Propriété », in P. BONTE et M. IZARD (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, 3e éd., Quadrige, PUF, 2004, p. 605.
[9] Au sens de « strate[s] de représentations collectives qui sont organisées et hiérarchisées dans une société donnée, et déterminent le contenu rhétorique des échanges dans cette société. (…) Les contenus de l’arrière-plan topique dépendront des fondements de la société ; de comment la société se représente à la base son identité en tant que groupe, de son histoire collective » (E. DE JONGE, « La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme comme l’expression d’une vision du monde : une approche topique et génétique », Argumentation et Analyse du Discours, 2010/4, p. 3 : http://aad.revues.org/956).
[10] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 1541 (XV), 15 décembre 1960, Principes qui doivent guider les États membres pour déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements prévue à l’alinéa e de l’Article 73 de la Charte, leur est applicable ou non
[11] « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », ARSS, vol. 64, 1986, p. 13. Aussi, l’une des revendications majeures des organisations représentant les peuples autochtones ayant participé à l’élaboration de la Déclaration de 2007 sur les droits des peuples autochtones a été de refuser qu’y soit établie une définition de ce qu’ils étaient : « [t]he right to define what is an indigenous person be reserved for the indigenous peoples themselves. Under no circumstances should we let artificial definition (…) tell us who we are ».
[12] La Convention compte un préambule de 11 alinéas et un dispositif de 44 articles.
[13] Dans le cadre des Nations Unies, les textes sont établis en anglais, arabe, chinois, espagnol, français, russe, sachant qu’aucune de ces langues n’est, légalement, une traduction d’une autre (bien que les travaux préparatoires puissent se dérouler dans une langue de travail particulière, anglais ou français en général).
[14] Alinéas 1, 3 et 6.
[15] Aliéna 6.
[16] Alinéa 6.
[17] Alinéa 13.
[18] Quelles que soient les formes et conséquences sociales de cet aller-vers.
[19] Il a ainsi fallu plus de deux ans et demi pour que la proposition de loi déposée par Christiane Taubira à l’Assemblée nationale, relative à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crimes contre l’humanité, soit définitivement adoptée (loi n° 2001-434 du 21 mai 2001, JORF, n°0119, 23 mai 2001, p. 8175). Dans un autre domaine, mais révélateur de difficultés comparables, on peut mentionner les multiples propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat depuis 2011, relatives à la reconnaissance de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 (à noter toutefois que le Sénat a adopté une résolution sur cette question le 23 octobre 2012). Il est intéressant de noter que la résolution de l’Assemblée nationale du 18 février 2014 relative aux enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 ne comporte pas le terme « reconnaissance », mais demande à ce que « la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée » : http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0300.asp
[20] Assemblée générale des Nations Unies, 61e session, 108e séance plénière, 13 septembre 2007, A/61/PV.108, p. 11.
[21] « La lutte pour le nom du peuple ».
[22] Ibid.
[23] Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethnique, religieuses et linguistiques
[24] M. MIAILLE, « Le droit-violence », Déviance et société, 1980, vol. 4, n° 2, p. 171.
[25] Ibid., p. 175.
[26] « Une philosophie plébéienne ».
[27] L. Julliot de la Morandière, P. Esmein, H. Lévy-Bruhl, G. Scelle, Introduction à l’étude du droit, tome I, 1951, Paris, Rousseau et Cie ; G. Le Bras, M. Prélot, M. Byé, A. Marchal, Introduction à l’étude du droit, tome II, 1953, Paris, Rousseau et Cie.
[28] Tous enseignants ou anciens enseignants de la faculté de droit de Paris.
[29] Ibid.
[30] D’où des chapitres relatifs à la théorie de l’État, à la place du droit dans la vie sociale, aux cadres sociologiques et chronologiques du droit, aux relations entre droit et économie politique, ou encore aux sources, méthodes et instruments de travail.
[31] Cf. infra.
[32] Esmein, 1951, 110-113.
[33] Ibid., p. 115-116.
[34] Lévy-Bruhl, 1951, p. 254.
[35] Ibid., p. 256.
[36] Le Bras, 1953, p. 58.
[37] Conception classique d’où il ressort que « la règle de droit est une règle socialement obligatoire et (…) les hommes ne s’y soumettent que lorsqu’elle est proclamée ou, du moins, sanctionnée par une autorité » (Brèthe de la Gressaye, Laborde-Lacoste, 1947, 7) ; autrement dit, le droit est « l’ensemble des règles obligatoire qui régissent les relations si complexes des hommes vivant en société. Ces règles présentent les traits distinctifs suivants : Elles sont établies pour les rapports des hommes. Elles sont édictées par les intéressés eux-mêmes ou par l’autorité à laquelle ce pouvoir est délégué. Elles sont revêtues de la force obligatoire, c’est-à-dire que leur observation est sanctionnée par la contrainte matérielle » (Capitant, 1929, 24) ; il est « l’ensemble des règles de conduite qui, dans une société plus ou moins organisée, régissent les rapports sociaux et dont le respect est assuré, au besoin, par la contrainte publique » (Bergel, 2003, 19), ou encore, un « [e]nsemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent aux membres de la société » (Cornu, 2007, 333). V. égal. supra note 42.
[38] Julliot de la Morandière, Lévy-Bruhl, 1951, vi-vii. De même, Henri Lévy-Bruhl, présentant sa manière de voir le droit précise que « même si elle devait diverger quelque peu de celle d’autres collaborateurs de cet ouvrage (…) [l]e lecteur sera mis à même de réfléchir sur les différentes images du droit qui lui sont présentées, et fera lui-même son choix » (Lévy-Bruhl, 1951, 253).
[39] La science du droit est restée, jusqu’à une période relativement récente, en France à tout le moins, largement à l’écart de cette démarche interdisciplinaire (à l’exception notable, mais marginale, du mouvement Critique du droit initié au début des années 1970). En effet, après un « moment 1900 » au cours duquel nombre de juristes universitaires prônaient la prise en considération de la fonction sociale du droit, voire la mise en œuvre de ce que l’on peut qualifier de sociologisme juridique (Jouanjan, 2015, 15-16), la discipline juridique se replia largement, au cours de l’entre-deux-guerres, sur une approche technicienne du droit, au nom de la vocation professionnalisante des facultés de droit (Audren, 2015b, 63-66).
[40] Le Bras, 1953, 6. V. égal. Marchal, 1953, 243, affirmant que les juristes « ne doivent rien ignorer de ce qui est humain ».
[41] Lévy-Bruhl, 1951, 300.
[42] Julliot de la Morandière, 1951, 178.
[43] Byé, 1953, 133.
[44] Ibid., 136-137.
[45] Julliot de la Morandière, Lévy-Bruhl, 1951, vi.
[46] J. Gatti-Montain, « Le droit et son enseignement : un demi-siècle de réflexion », Droits, vol. 4, 1986, p. 110.