Texte de l’intervention de Michaël Crevoisier (22/06/2019)


Expérimenter philosophiquement les jeux vidéo.

Éléments de réflexion grâce à Detroit : Become Human

par Michaël Crevoisier

 

  1. Introduction. Considérations méthodologiques

1.1. Constats préalables et questions directrices

La question du jeu n’est pas nouvelle. Elle apparaît dans quasiment l’ensemble du corpus philosophique depuis Héraclite. Néanmoins, trois constats s’imposent. 1) le jeu est quasiment toujours renvoyé à la contingence, c’est-à-dire à ce qui ne saurait être intéressant pour le discours philosophique qui vise à rendre raison de ce qui détermine le réel (l’esprit, l’expérience, l’histoire, l’existence, etc.). Comme si la philosophie s’était structurellement constituée de telle sorte que le jeu ne puisse lui apparaître comme un phénomène ou une pratique importante. 2) Au vingtième siècle, la philosophie, mais aussi les sciences humaines, ont commencé à prendre au sérieux l’idée de jeu, mais de manières très diverses selon les traditions méthodologiques. 3) À la fin du vingtième siècle, un nouveau type de jeu fait son apparition et s’impose non seulement comme une pratique ludique massive, mais aussi comme un bouleversement à la fois de l’industrie, du marché et du monde de la culture : les jeux vidéo.

Ce bouleversement est-il un épiphénomène, une mode, voire un pseudo-événement, interne à la société de consommation ? Ou les nouvelles pratiques, les nouvelles images et donc les nouvelles sensibilités que déterminent les jeux vidéo, nous invitent-elles jusqu’à réviser la position de la philosophie face au jeu en général ? De la même manière que le cinéma dans la deuxième moitié du vingtième siècle, la philosophie doit-elle interroger la nouveauté du jeu vidéo avec le sérieux et la radicalité du questionnement métaphysique ? C’est-à-dire, non pas comme une réalité contingente qui viendrait illustrer ou au mieux améliorer la définition de certains de nos concepts, mais comme une transformation historique dont la nécessité embarque avec elle la structure de la philosophie ? Cette dramatisation du problème de la nouveauté des jeux vidéo a une vocation heuristique : si cette hypothèse s’avère pertinente, notre étude sur les jeux vidéo engagera d’elle-même des problèmes philosophiques fondamentaux ouvrant la voie à des transformations conceptuelles. Notre objectif est d’apercevoir ces transformations.

Afin d’élaborer et de traiter cette hypothèse, nous chercherons à répondre aux trois questions suivantes : 1) par quelle méthode la philosophie peut-elle s’intéresser à la nouveauté du vidéoludique ? La difficulté de cette question tient au problème que pose l’étude de quelque chose qui serait « nouveau ». En effet, s’il y a un intérêt spécifique pour la philosophie d’interroger les jeux-vidéos, cela suppose que la philosophie s’intéresse à nouveau au jeu. Mais « à nouveau » signifie implicitement que la philosophie devrait s’y intéresser nouvellement, c’est-à-dire à partir d’une transformation de la manière dont elle a par le passé interrogé le jeu. Je n’entrerai pas dans le détail de ce problème d’ordre méthodologique, mais il sera l’occasion de dresser un bref et partiel panorama des manières par lesquelles le jeu a été étudié. Nous verrons, incidemment, qu’il n’est peut-être pas fortuit que l’hypothèse selon laquelle la philosophie doive aujourd’hui s’intéresser au jeu (et plus spécifiquement au jeu vidéo en tant que bouleversement culturel), soit formulée au moment historique où la structure de la philosophie (la métaphysique) s’est avérée déconstruite, c’est-à-dire lorsque l’ensemble des dichotomies qui ont tenu la philosophie pendant plus de deux millénaires, dont l’opposition entre le jeu et le sérieux, le contingent et le nécessaire, ont été systématiquement remises en question. 2) La méthode qu’utilise Deleuze pour interroger la nouveauté philosophique du cinéma est-elle pertinente pour l’étude du jeu vidéo ? Cette méthode, qu’il nomme « expérimentation », nous paraît utile car elle consiste à tenir en même temps un questionnement sur la singularité d’un phénomène nouveau (les images cinématographiques) et un questionnement sur la transformation de la philosophie (l’image cinématographique de la pensée). Nous utiliserons cette méthode pour analyser un jeu vidéo en particulier Detroit : Become Human (Quantic dream, 2018). 3) Enfin, nous constaterons que l’expérimentation des jeux-vidéo nous confronte aux limites de la philosophie deuleuzienne. C’est donc au bord des concepts de Deleuze que nous chercherons à apercevoir quelles nouvelles transformations les jeux vidéo nous forcent à penser. Par-là, il s’agira de comprendre en quoi l’ampleur de ces transformations sont d’ordre philosophique.

1.2. Panorama des méthodes pour penser le jeu

Qu’est-ce qui, dans les pratiques ludiques, pourrait intéresser la philosophie ? Et d’abord, quelle méthode serait la plus propice pour interroger les jeux ? Une manière de procéder consiste à envisager les limites des méthodes déjà employées.

La conceptualisation des pratiques ludiques vise à produire une définition qui engloberait l’ensemble des pratiques. Pour cela, une solution classique consiste à opposer le jeu à d’autres pratiques de sorte d’obtenir la plus grande généralisation possible. En ce sens, il s’agirait de montrer que le jeu s’oppose au travail et au sérieux[1], qu’il désigne une pratique marquée par l’inconséquence et la gratuité. Ou, d’un point de vue plus abstrait, il est possible d’envisager l’idée de jeu à un niveau métaphysique, c’est-à-dire comme catégorie logique qui, par-là, pourrait s’opposer aux idées d’unité[2] ou de structure[3]. Or, dans tous ces cas, le risque est de subsumer les pratiques ludiques sous le concept. Une telle approche est marquée par un faible intérêt pour la description de ce en quoi consiste un jeu ou le fait de jouer à tel ou tel jeu et, par-là, écrase la diversité des types de jeu.

À l’inverse, une méthode empirique serait susceptible d’une plus grande attention envers cette diversité : soit en cherchant à produire une classification des jeux selon les pratiques qu’ils impliquent[4], soit afin de comprendre l’importance du jeu dans les pratiques culturelles en général. Ici, la limite est celle de la méthode inductive, c’est-à-dire le fait d’engager la validité des catégories ludiques à partir d’un ensemble imparfaitement déterminé de jeux. En effet, d’une part, comment s’assurer que la classification ne prenne pas en compte tous les jeux existants ? Et d’autre part, pour établir la liste des jeux existant il faut bien préalablement poser une définition du jeu, qui risque d’être arbitraire. De plus, un autre risque avec cette méthode, est de poser une définition très lâche de sorte que l’analyse en vienne à retrouver le ludique en toute pratique et que ce concept désigne un principe culturel traversant toutes les pratiques[5] ou se retrouvant à l’origine même de la culture en général[6].

Une solution a consisté dans l’élaboration de méthodes spécifiques à l’étude des jeux, consistant le champ des game studies. Ce champ se détermine à partir d’une question directrice qui implique une définition principielle des jeux, à savoir : comment des règles (game) déterminent-elles des comportements (dont on postule un fondement rationnel) ? Or, cette fois-ci, le risque est d’en rester à une définition (ou en tout cas un point de vue) trop restrictive du concept de jeu, et de manquer une dimension importante des pratiques ludiques.

Par conséquent, les méthodes existantes sont insuffisantes car elles consistent : soit en une réflexion conceptuelle qui risque de ne pas s’intéresser à la réalité, c’est-à-dire à la diversité, des pratiques ludiques ; soit en une analyse empirique qui risque de produire une trop grande fragmentation du concept (une classification), de le surinvestir (en faire un principe), ou poser une détermination trop stricte (le rapport aux règles comme principe de l’activité ludique).

En revanche, une dernière méthode, en réaction au problème que pose l’approche des game studies, a cherché à mettre l’accent sur l’expérience ludique : ce sont les play studies. L’idée apparaît chez Mathieu Triclot[7], et correspond à la volonté d’utiliser une approche phénoméno-technique héritée de Bachelard pour comprendre comment la dimension technique de l’objet vidéoludique en détermine les expériences ludiques possibles, et dégager une histoire des régimes d’expérience vidéoludique. D’une certaine manière, il est également possible d’intégrer l’approche plus ancienne de Jacques Henriot[8] dans cette perspective, dans la mesure où il s’agit également d’interroger l’expérience ludique, mais cette fois-ci d’un point de vue phénoméno-existentialiste, qui tend davantage à une compréhension métaphysique du jeu en tant que composante constitutive de la subjectivité. Le risque est alors de retomber dans une conception subsumante du jeu. C’est pourquoi, alors que dans les deux cas, l’avantage des play studies est d’ouvrir le questionnement à partir de ce que signifie « jouer » sans focaliser l’analyse sur le sujet (qu’est-ce qu’un joueur ?) ou l’objet (qu’est-ce qu’un jeu ?), l’approche de Triclot paraît plus à même d’investir ce que nous pourrions appeler la zone centrale du jeu, c’est-à-dire ce qui se passe entre le jeu et le joueur. Cependant, du fait que son objet tende à n’être ni l’objectivité du jeu ni la subjectivité du joueur mais leur relation, la réflexion menée semble devoir impliquer d’identifier à quel terrain d’analyse peut correspondre cette zone centrale du jeu. Or, un risque est de vouloir identifier cette zone à des objets déjà déterminés, voir connus, tels que les objets techniques, le langage, la projection psychologique, etc. C’est un risque car une telle approche de terrain, si elle est utile d’un point de vue descriptif, se trouve limitée d’un point de vue philosophique. Plutôt que d’interroger en quoi les pratiques ludiques nous donnent à penser ce qu’est la relation (cette zone centrale), l’analyse s’en tient à l’objectiver et retombe dans les travers de l’induction. Pour éviter cela, les play studies pourraient trouver un intérêt méthodologique à réinvestir le problème du rapport entre la théorie et le terrain, d’autant plus que ce rapport, dans la mesure où il recoupe la distinction entre l’explication et la description (entre une approche réflexive active et une approche empirique passive), n’est pas sans écho avec le jouer lui-même qui implique autant la position passive du spectateur que celle active de l’acteur.

 

1.3. L’expérimentation

 

Dans la dernière partie de son œuvre, Gilles Deleuze thématise une méthode d’analyse qui remet en question le primat de la réflexion en philosophie. Celle-ci trouve son origine dès Logique du sens, lorsqu’il s’élève contre l’image d’une philosophie ridiculement éthérée qui réfléchirait dans l’abstraction des concepts purs[9]. Incidemment, il n’est pas le premier à le faire, il s’inscrit en ce sens dans la tradition empiriste, de laquelle il s’est toujours revendiqué. Mais, il ne suit pas tout à fait la logique inductive qui conduit la réflexion de l’empiriste : il ne s’agit pas de réfléchir sur l’expérience qu’on a fait, sur les données de l’expérience. Il s’agit plutôt de voir en quoi l’expérience elle-même nous fait réfléchir, nous force à penser.

C’est pourquoi il serait plus juste de dire qu’il y a chez Deleuze l’idée, d’origine marxiste, d’une pratique théorique : faire de la théorie ne doit pas avoir lieu dans l’abstrait, mais s’ancrer toujours dans une situation concrète, pour un esprit déjà construit. Il est faux, idéologique, de croire qu’il y aurait de la réflexion pure qui serait sans « présupposées réels » comme dit Marx. La solution pour Deleuze consiste alors, non plus à chercher à purifier sa réflexion (par le doute, la réduction, etc.), mais, à travers une pratique, à laisser son esprit suivre le cours de cette pratique parce qu’automatiquement cela donnera à penser quelque chose, des perceptions et des affections vont envahir l’esprit et des problèmes de compréhension vont être rencontrés. Deleuze nomme « expérimentation » la méthode qui consiste à produire de la théorie à partir de ces problèmes auquel la réflexion se trouve confrontée lorsqu’elle cherche à comprendre ce que la pratique donne à penser. En ce sens, la question pertinente est : quelles sont les pratiques qui nous donnent le plus à penser ? Au point, peut-être, où cette pratique nous amènerait à l’intensité réflexive de la pensée philosophique. Ainsi, plus directement encore, il s’agit de se demander : y’a-t-il de nouvelles pratiques qui nous donneraient nouvellement à penser ? jusqu’à, peut-être, renouveler la pensée philosophique elle-même ! À cette dernière question, l’une des principales réponses de Deleuze est le cinéma, et c’est en particulier dans les deux livres qu’il consacre à cet art, qu’il thématise la méthode de l’expérimentation[10].

Afin de préciser le contenu et la fécondité de cette méthode pour notre objet, il nous faut commencer par comprendre en quoi et pourquoi cette méthode trouve d’abord sa pertinence dans la pratique des images cinématographiques.

 

1.4. La méthode deleuzienne de l’expérimentation cinématographique

 

Ce qui intéresse Deleuze dans le cinéma est le fait que l’image y soit dotée de son propre mouvement. En effet, l’image cinématographique : 1) enregistre et restitue automatiquement le devenir du monde tel qu’il peut être perçu ; 2) met en mouvement l’imagination du spectateur. Cela signifie que, ce qui se passe à la fois dans la tête du spectateur et dans le film appartient à un même mouvement. Embarquées dans ce mouvement, images du monde et images mentales deviennent indiscernables : le cinéma donne à percevoir, à s’émouvoir comme si l’on était hypnotisé par l’auto-mouvement de ses images. Plus encore, avec certains films, le cinéma peut même donner à penser, nous faire entrer dans le mouvement d’une pensée[11]. Bref, pour Deleuze, la philosophie du cinéma ne consiste pas à réfléchir sur l’image mais à expérimenter le mouvement de l’image cinématographique, en tant que, pris par ce mouvement, l’esprit est amené à penser avec le film. Avec les grands films, cela peut amener à penser de nouveaux concepts[12].

L’idée fondamentale de Deleuze ici est celle d’« indiscernabilité », il convient donc d’en préciser le sens. 1)  L’indiscernabilité signifie, pour ce qui nous intéresse, que les images mentales et les images cinématographiques sont distinctes, mais leur mouvement est identique. Cela correspond à une sorte d’intuition qui ne suppose pas, comme dans les philosophies de la conscience (en particulier de type phénoménologique) un pôle intentionnel. Ici, la force motrice de l’activité de la conscience est partagée avec l’auto-mouvement de l’image, c’est pourquoi il s’agit davantage d’hypnose que de contemplation. 2) De plus, la méthode suppose que le concept d’indiscernabilité ne soit pas a priori, qu’il ne précède pas l’expérimentation. Cette dimension réflexive de la méthode implique que ce sont certains films qui ont amené Deleuze à penser le concept d’indiscernabilité[13]. L’expérimentation n’est donc pas ce qui fournit les données à une réflexion a posteriori. L’expérimentation est en elle-même réflexive. La réflexivité vient elle aussi du dehors, de l’image cinématographique, et non d’une faculté innée du sujet. C’est pourquoi le cinéma peut rivaliser avec la philosophie. Ce n’est pas le philosophe qui réfléchit sur le film qu’il voit, ou qu’il interroge depuis une méthode déjà constituée, et ce n’est pas non plus le film qui lui donne quelque chose à réfléchir. Il s’agit plutôt de comprendre que c’est le film qui se réfléchit lui-même, ce sont des images spécifiques de cinéma qui réfléchissent et le cinéma et ce que cela signifie que de penser le cinéma. Le philosophe, pris dans le film, est alors également pris dans cette réflexion du film sur lui-même. Voilà la spécificité de la pratique théorique de Deleuze : réfléchir non pas sur mais avec et grâce à ce sur quoi on désire produire une théorie. 3) Il faut encore ajouter une précision qui nous sera centrale. L’état d’indiscernabilité de l’esprit du spectateur avec celui du film lorsqu’il est pris dans son mouvement, signifie que la distinction entre le réel et l’imaginaire n’est plus pertinente pour analyser ce qui se passe[14]. En effet, avec le cinéma le problème n’est plus : « est-ce que l’image imite bien le réel ? », puisque filmer consiste à enregistrer automatiquement le mouvement du réel. Le problème de l’image se formule davantage ainsi : soit « à quel nouveau point de vue sur le réel me donnent accès ces images ? », soit « à quelle nouvelle réalité me donnent accès ces images ? ». Dans les deux cas, la nouveauté que peut m’apporter l’image cinématographique consiste en des perceptions, des affections ou des réflexions inédites. La question : « ces nouvelles perceptions, affections et réflexions sont-elles réelles ou imaginaires ? » est absurde. Le critère n’est pas la réalité au sens de l’adéquation entre ce qui est donné par l’image et ce qui serait donné par le réel. Pour Deleuze, le critère permettant de juger la grandeur d’une œuvre cinématographique, est sa dimension créatrice. L’image d’un grand film est celle qui apporte de nouvelles perceptions, affections ou réflexions. Et la condition de cela, c’est, précisément, l’indiscernabilité. Car, pour qu’un tel apport ait lieu, pour que le film me donne à penser de telles nouveautés, il faut en même temps qu’il me fasse entrer dans un monde, que les perceptions, affections et réflexions me soient données comme constituant un monde. La capacité à nous faire croire en un monde est pour Deleuze la grande force du cinéma. Mais, cela est vrai dans la mesure où nous ne comprenons pas ce monde comme quelque chose d’imaginaire ; ce n’est pas ici une capacité d’illusion, il faut y insister, il s’agit bien de la capacité à nous faire croire au monde. Nous faire croire à nouveau au monde, c’est-à-dire nous faire désirer appartenir au monde.

Donc, en résumé, l’expérimentation du cinéma amène Deleuze à produire une théorie qui caractérise le fait d’ « entrer dans un film » par deux traits : 1) ma pensée suit automatiquement le mouvement spirituel (perceptif, affectif et réflexif) de l’image – ce qui implique de sortir de la distinction entre l’intériorité de la pensée et l’extériorité de l’image ; 2) cet automatisme me fait à nouveau croire au monde – selon une nouvelle modalité qui ne correspond plus à la distinction entre le réel et l’imaginaire. Cette pratique théorique transforme la philosophie (donc la pratique du cinéma transforme la manière de faire de la philosophie), puisqu’il s’agit alors de produire une pensée pour laquelle les distinctions intérieur/extérieur et réel/imaginaire ne sont plus pertinentes. Ce que Deleuze appelle une « nouvelle image de la pensée » et qui correspond donc à une image cinématographique de la pensée.

Il s’agit donc, pour nous, d’utiliser cette méthode non plus pour le cinéma, mais pour le jeu. Nous pourrions ainsi nous demander : à quelles pensées le jeu nous donne-t-il à réfléchir ? À quels nouveaux problèmes ces pensées confrontent-elles la philosophie ? Et quelles transformations la théorie relative à ces problèmes implique-t-elle pour la pensée philosophique ? Mais, ces questions posent deux problèmes. D’abord, à suivre strictement un tel programme, nous ne ferions que répéter ce qu’a fait Deleuze en appliquant sa méthode sur un autre objet. Or, on l’a compris, la méthode de l’expérimentation n’est pas une méthode universelle, elle est elle-même immanente au cinéma ; elle correspond à l’image cinématographique de la pensée. Par conséquent, il n’est pas certain qu’une manière cinématographique de penser soit propice à l’étude des jeux. Ensuite, pour réfléchir de cette manière le jeu, il faudrait une expérimentation quasiment exhaustive, comme l’a fait Deleuze pour le cinéma. Ce n’est pas impossible, mais le champ de recherche dans le domaine des jeux paraît beaucoup plus important et diversifié que celui du cinéma, il n’est donc pas certain que cela soit pertinent. Donc, pour ces deux raisons, il est préférable de voir en quoi la méthode de Deleuze se transforme dès lors que l’expérimentation concerne le jeu. En quoi l’expérimentation des jeux nécessite de modifier la méthode deleuzienne ?

 

  1. Expérimentation d’un jeu vidéo : Detroit : Become Human 

2.1. Trois intérêts méthodologiques des jeux vidéo 

2.1.1. Premier intérêt : les jeux vidéo sont propice à l’usage de la méthode deleuzienne

Une manière de voir cette transformation de la méthode deleuzienne de l’expérimentation dans la pratique des jeux, consiste à situer notre pratique des jeux au bord du champ d’expérimentation de Deleuze.

Les deux tomes sur le Cinéma le mènent aux portes de l’image vidéoludique. L’expression « jeu vidéo » n’apparaît jamais dans l’œuvre de Deleuze, mais il est possible de déceler une transformation vidéoludique du concept d’image[15], en particulier à la fin de L’image-temps lorsque le cas des images électroniques et numériques est mentionné. Deleuze évoque alors un nouveau régime d’images propre aux supports numériques, impliquant un nouveau type d’automatisme, c’est-à-dire un nouveau régime d’indiscernabilité, et, potentiellement, une modification de ce en quoi il s’agirait de croire lorsqu’on croit en un monde. Ainsi, l’expérimentation des jeux vidéo, en tant qu’ils appartiennent à ce nouveau régime d’images, semble se situer dans le prolongement de l’expérimentation deleuzienne du cinéma.

Mais comment peut-on comprendre ce prolongement ? Dans quelle mesure s’agit-il d’une continuité avec les analyses et la méthode utilisées dans l’étude des images analogiques ? Soit ce prolongement n’apporte rien de nouveau, et dans ce cas, au mieux, les images vidéoludiques nous font retrouver les affections, les perceptions et les réflexions du cinéma ; soit cela apporte quelque chose de nouveau, et nous pouvons supposer que l’analyse des images vidéoludiques permettrait de compléter l’expérimentation de Deleuze, en utilisant sa théorie du cinéma ; soit l’expérimentation des jeux-vidéo apporte des perceptions, des affections et des réflexions qui débordent le cadre théorique de Deleuze. Alors, nous pourrions voir comment se transforme les concepts d’indiscernabilité et de croyance. Nous faisons l’hypothèse que cette troisième manière d’envisager le prolongement par le vidéoludique des analyses de Deleuze est la plus heuristique. Nous l’explorerons avec comme horizon de pensée l’idée que « se prendre au jeu » ce n’est pas la même chose qu’ « entrer dans un film ».

2.1.2. Deuxième intérêt : les jeux vidéo invitent à une approche esthétique du jeu

Les jeux vidéo permettent d’interroger la pratique ludique à partir du problème classique de la représentation. Ainsi, leur étude permet de sortir de la question de la contingence (« quelle nécessité y’a-t-il dans le fait de jouer ? ») ; pour prolonger celle de la crédibilité, dans la mesure où jouer consiste à se prendre plus ou moins au jeu en fonction de la croyance en un monde.

Nous formulons ainsi le problème de la représentation parce que, nous le rappelons, nous nous inscrivons dans le prolongement du déplacement qu’opère Deleuze de la distinction entre le réel et l’imaginaire, vers le concept de croyance. Or, il faut ajouter que ce que Deleuze nomme croyance ne doit pas s’entendre au sens classique de l’empirisme humien. Il ne s’agit pas de se demander ce qui se constitue subjectivement par habitude, c’est-à-dire par la répétition des mêmes expériences pour tel ou tel sujet. Pour Deleuze, la croyance n’est pas purement subjective, car elle ne procède plus de la distinction entre l’intériorité du sujet croyant et l’extériorité de l’objet cru. Il s’agit ici d’une croyance qui se fonde sur l’indiscernabilité entre le sujet et l’objet. Autrement dit, pour Deleuze, il faut davantage interroger la crédibilité du monde en tant que le joueur, en jouant et pour jouer, devrait croire en un monde, le monde du jeu ; mais aussi en tant que ce que nous nommons ici « monde du jeu » serait à comprendre comme un monde qui nous fait croire. Non pas un monde crédible mais un monde qui produit de la croyance, au sens où, par exemple, en se prenant au jeu, le joueur serait amené à croire dans le monde du jeu, et par-là, il pourrait être dit qu’il entre dans un monde. Bref, le fait qu’un monde soit plus ou moins crédible ne dépend donc pas seulement de la subjectivité du spectateur, mais aussi de la capacité de l’image ludique à nous faire croire, à mettre en mouvement notre esprit.

Ainsi, dans le prolongement du problème deleuzien de la croyance dans l’expérimentation du cinéma, le jeu vidéo engage à interroger le fait de « se prendre au jeu » d’un point de vue esthétique. Au-delà de Deleuze, il s’agit donc de se demander en quoi les nouvelles perceptions et affections propres à l’image vidéoludique sont susceptibles de modifier la manière dont nous croyons au monde, et, par-là, de nous donner à construire autrement le concept de croyance.

2.1.3. Troisième intérêt : les jeux vidéo sont à l’intersection de deux nouveaux domaines philosophiques

Le jeu vidéo n’est pas seulement un nouveau type de jeu et un nouveau type d’image, c’est aussi un nouveau type d’objet technique. En ce sens, pour la philosophie, l’expérimentation des jeux vidéo se fait à la confluence de deux nouveaux domaines d’investigation : la philosophie du cinéma qui interroge la dimension esthétique du mouvement de la pensée (que nous venons de thématiser à travers l’idée de croyance au monde) ; la philosophie de la technique qui interroge l’importance de la médiation technique dans l’exercice de la pensée. En effet, jouer à un jeu vidéo consiste à utiliser une machine informatique. Le problème de la relation homme-machine, déjà présent mais négligeable (ou en tout cas négligé par Deleuze) dans l’expérimentation cinématographique, se fait plus impérieux dans le cas du jeu vidéo. Deleuze l’avait vu dans ses quelques remarques sur les images numériques, mais sans prendre la mesure des transformations que cela implique concernant la nouveauté de l’image vidéoludique. Les récents développements en philosophie des techniques peuvent ici être mis à profit.

 

2.2. Deux affects vidéoludiques

Sur le bord de la théorie deleuzienne du cinéma, il s’agit donc d’expérimenter ce qu’il n’aura qu’aperçu, en éprouvant les perceptions, affections et réflexions propres aux jeux vidéo. Nous nous concentrerons sur deux affections nouvelles. L’objectif sera, à chaque fois, de décrire la nouveauté de l’affect, d’analyser la réflexion que celui-ci implique et suscite, et d’interroger quelles limites de la théorie deleuzienne nous atteignons, au point d’apercevoir la transformation vidéoludique des concepts qui la composent.

2.2.1. Choisir sans but

Le jeu qui nous sert de guide pour l’expérimentation se nomme Detroit : Become Human. Il s’agit principalement d’un jeu à la troisième personne (à l’image, l’avatar qu’incarne le joueur est vu de dos), dont le parti pris artistique ambitionne un rendu photo-réaliste empruntant les codes du cinéma (en particulier pour le cadrage, les lumières, la mise en scène et le montage). De ce point de vue plastique, les images du jeu ressemblent, dans la mesure des calculs possibles, à une image cinématographique. La dimension ludique se situe dans la narration puisque Detroit est un drame interactif. Cela signifie que certaines actions du joueur déterminent le scénario. À l’instar des « livres dont vous êtes le héros » ou des films interactifs, le scénario est constitué d’une narration arborescente et les branches qu’emprunte le joueur dépendent à la fois de décisions qu’il prend au sein du déroulé de l’action, et de l’état affectif, cognitif voire social de son personnage et du monde dans lequel il évolue. Notons enfin qu’il s’agit d’un scénario de science-fiction : le joueur incarne tour à tour trois androïdes, à un moment de l’histoire où des « déviants » apparaissent, c’est-à-dire des androïdes qui agissent hors des règles fixées par leur programme. Ce thème classique de la révolte des machines contre l’homme prend, dans le cadre d’un drame interactif, une dimension particulière puisqu’ici le joueur humain joue, via une machine (l’ordinateur ou la console de jeu), des androïdes.

Du point de vue cinématographique, le jeu consiste en des images qui égales assez péniblement, malgré les prouesses infographiques manifestes, celles dont nous sommes habituées au cinéma. Les perceptions et les affections relatives à ces images de science-fiction n’apportent rien de nouveau. En revanche, en tant que ces images sont jouées, c’est-à-dire déterminées par l’action du joueur, elles produisent en quelques occasions des affections ludiques intéressantes. La première se trouve dans un type de scène, souvent répétée du fait de la mécanique du jeu, où il s’agit de faire un choix que nous savons décisif pour l’histoire, mais pour lequel il est particulièrement difficile de se décider.

2.2.1.1. Description 

Dans l’une de ces scènes[16], nous incarnons Markus, un androïde aide à domicile. Il s’occupe d’un peintre très riche qui le considère comme son fils et l’initie à l’art et à la culture en général. Son fils biologique, Léo, en revanche, est tombé dans la drogue et ne vient voir son père que pour lui demander de l’argent. Il cultive une haine envers les androïdes et jalouse ouvertement Markus. Après deux heures de jeu, lors de la troisième séquence consacrée à ce personnage, Markus, en fin de soirée, ramène son propriétaire à la suite d’une réception qui eut lieu en son honneur. Ils remarquent que la lumière est allumée dans l’atelier. C’est Léo, il est entré pour voler des tableaux. Markus a déjà appelé la police, mais en attendant qu’elle intervienne, il doit contenir Léo. Le joueur, qui jusqu’alors n’avait qu’à suivre l’action des deux protagonistes en assistant ponctuellement les mouvements des personnages (pousser le fauteuil roulant, servir un verre, appeler la police, etc.), doit alors faire un série de choix déterminants pour l’attitude de Léo, donc pour la situation dramatique, mais aussi concernant la suite de l’histoire. En effet, selon nos choix d’interaction avec Léo, il est possible que quelqu’un soit tué, y compris nous-mêmes, et que les rapports interpersonnels soient grandement modifiés. Ainsi, à travers d’abord des choix de dialogue, puis d’actions, il s’agit soit d’endurer la violence de Léo à notre égard, soit de répondre à cette violence de sorte de le mettre hors d’état de nuire. A priori, il est difficile d’imaginer l’ensemble des conséquences impliquées entre ces deux options possibles. Dans le fond, notre seul but en tant que personnage, est de protéger le peintre, et puisque la police va arriver, nous pouvons autant chercher à gagner du temps qu’affronter Léo. Or, l’androïde Markus a dans son programme une limitation qui l’empêche de violenter un humain. Seulement, sa relation avec le peintre est telle que nous comprenons qu’il ressent le caractère intolérable de la situation lorsque Léo menace physiquement son père. Cette émotion le conduit à dévier de son programme et libère la possibilité pour le joueur d’attaquer Léo. Dès lors, le choix s’approfondit d’une portée historique.

Ce qui est intéressant du point de vue ludique, est qu’à ce moment précis, notre choix va dépendre de ce que l’on croit. Il n’y a pas ici de but du jeu à partir duquel nous pourrions déduire une stratégie et la meilleure action possible. Ce but dépend d’abord de la manière dont nous comprenons le personnage que nous jouons, et par-là, la raison pour laquelle il peut dévier. Qui est Markus ? Son rapport à l’art fait-il de lui un androïde particulier ? Est-ce par l’art qu’un androïde peut sortir de sa condition de machine ? Précisons que ces questions, qui charrient un grand nombre d’éléments plus ou moins précis et connus, le joueur ne peut y réfléchir à loisir. Son choix doit se faire dans un temps imparti et la rapidité de son choix sera également pris en compte par le jeu. C’est pourquoi il faut remarquer qu’ici le choix du joueur se fait davantage en fonction de ce qu’il croit, qu’il n’est le produit d’une réflexion élaborée. Le joueur doit en quelque sorte sentir l’action, la relation entre l’action et l’univers du jeu, plutôt que de chercher à la rationaliser. Cette remarque est essentielle car elle permet de comprendre ce que ressent le joueur à ce moment du choix. Son affect, et c’est cela qui nous intéresse, consiste en un sentiment étrange : il doit choisir sans but. Comprenons bien, il ne s’agit pas d’un choix par défaut, qui serait au plus bas degrés de sa liberté d’action puisque, nous l’avons vu, ce choix n’est ni inconséquent ni indifférent. C’est l’existence de Markus qui est en jeu, à la fois son avenir et le sens que nous joueur nous lui donnons en croyant qu’il doit agir de telle ou telle manière. Bien sûr, il arrive que nous n’arrivions pas à nous décider et qu’alors nous tranchions au hasard ou pour voire quelles conséquences cela entraîne. Mais ces cas là ne sont pas intéressants, ils témoignent plutôt d’un échec du gameplay. Detroit n’est pas un jeu sans défaut, mais, à quelques occasions, il a le mérite de produire cet affect si singulier qu’il nous faut encore approfondir.

En général, le jeu échoue lorsque, face à un choix sans but, nous ne voyons pas l’enjeu. L’enjeu se distingue du but dans le fait qu’il n’implique pas nécessairement une compréhension claire. Un choix peut avoir un enjeu dans le fait qu’il paraisse important, mais cette importance n’est pas nécessairement indexée sur un objectif à atteindre. Même en l’absence d’objectif clairement identifié, comme c’est le cas dans cette séquence avec Markus, le joueur peut ressentir l’importance de l’enjeu. Mais, dans ce cas, qu’est-ce qui détermine le fait que le joueur ressente l’enjeu ou non ? La réponse se trouve dans ce que nous avons posé précédemment : de la même manière que pour une expérience cinématographique, le degré de croyance qu’un joueur nourrit lorsqu’il joue dépend du fait qu’il soit plus ou moins entré dans le monde du jeu. Or, plus le joueur y croit (puisqu’il est actif et que jouer consiste à « se prendre » au jeu, comme on peut dire de quelqu’un qu’il « se prend » au sérieux par exemple, il serait peut-être plus juste de dire qu’il « s’y croit »), plus l’enjeu lui paraît important. Il serait possible d’interroger ce phénomène à partir du problème de l’identification du joueur avec son avatar, mais cette approche psychologique n’est pas la plus à même de saisir ce que nous cherchons ici car il s’agit moins de comprendre le monde comme le fait le personnage tel qu’il est décrit dans le scénario, que de décider comment le personnage participe et trouve sa place dans le monde en faisant des choix qui déterminent ce monde et son histoire. Ainsi, à l’inverse d’un choix par défaut, il arrive également dans ce type de situation de jeu que l’action à accomplir paraisse évidente, que nous décidions quasiment automatiquement. Cela s’explique par le fait qu’il est possible que nous soyons à ce point pris par le monde du jeu que l’enjeu n’est plus ce à quoi il faudrait réfléchir, mais est devenu immanent au fait que nous soyons persuadé que nos actions participent du mouvement du monde. Et, puisque de nos actions dépend l’avenir du monde du jeu, alors, l’articulation de la croyance et de l’enjeu se noue davantage, de telle sorte que l’enjeu dépende réellement de ce que je crois. Cela arrive parce qu’à la différence du cinéma, jouer ne consiste pas à épouser le mouvement de l’image, mais procède d’une liberté fondamentale qui s’exerce en particulier dans la manière dont nous apprenons à agir en tant que joueur pris dans un monde, et en tant qu’en retour nos choix déterminent la construction du monde ludique lui-même. Bref, cet affect du choix sans but tient à l’épreuve d’une liberté qui consiste à « faire » (construction) plutôt qu’à « atteindre » (performance), et qui ne s’oppose pas à la nécessité du monde, mais, au contraire, trouve son intensité dans la croyance investit dans celui-ci.

2.2.1.2. Réflexion

Dans la mesure où, lors de cette séquence de jeu, nous sommes entrés dans le monde de Detroit, sur quoi se fonde l’affect que nous ressentons ? Dans l’après coup de l’action de jeu, essayons de déplier les pensées qui ont pu nous traverser si vite l’esprit que nous n’en avons quasiment pas pris conscience. Ce qui est certain, en négatif, c’est que cet affect ne provient pas de ma volonté de gagner la partie puisque, nous l’avons précisé, dans un drame interactif nos choix déterminent l’enjeu (le but du jeu est bien de gagner, mais le but dépend de la manière dont nous jouons). Cet affect provient plutôt de ce que je crois, or, dans le monde de Detroit, en tant que j’incarne un androïde, je comprends que je tends historiquement à dévier. Mais d’où vient et quel est l’enjeu de la déviance ? Dans cette situation ludique, nous venons de découvrir qu’une émotion forte est à l’origine de la possibilité de dévier, mais il reste à savoir vers quoi mène la déviance. Concrètement, dans le cas de Markus, la question de la déviance se complique car son rapport privilégié avec son propriétaire semble indiquer deux voies possibles. Soit il dévie en transgressant son programme pour se battre contre Léo, puis il fuit et entre en résistance. Dans ce cas, la déviance passerait par la révolte comme voie de l’émancipation. Soit il dévie en écoutant le peintre qui, à ce moment de l’action, lui conseille fortement de ne pas réagir afin de ne pas être détruit par la police qui le considérerait comme un agresseur. Markus empêcherait Léo de tuer son père et pourrait poursuivre à ses côtés son apprentissage de la culture qui, d’une autre manière, le conduit aussi à dévier de son destin de machine. Dans ce cas, grâce au peintre, la déviance passe par la culture, c’est-à-dire prend la forme d’une humanisation. Donc, plus fondamentalement, avec la déviance, s’agit-il d’une affaire collective (révolte et émancipation des masses d’androïdes) ou personnelle (révolution intérieure) ? La déviance est-elle historique ou existentielle ? Acquérir la liberté se fait-il nécessairement dans la violence ? L’Histoire est-elle le fait des masses ou d’êtres d’exception ?     Ces questions ne sont pas seulement ce qu’évoque le jeu par après. Elles ne sont pas extérieures au jeu, elles ne relèvent pas de l’interprétation. L’intérêt du jeu, précisément, est qu’à travers l’affect que nous analysons, ces questions apparaissent comme immanentes au jeu : elles nous impliquent souterrainement dans le jeu car il faut choisir. Il le faut pour mettre les images en mouvement, mais aussi pour entrer dans le jeu. Nous avons ici le début d’une analyse de ce que signifie « se prendre au jeu ». Ainsi, nous pouvons remarquer que les réflexions aux prémisses de cette analyse nous viennent de l’univers du jeu. Toutefois, il n’est pas certain que Detroit soit un grand jeu car le contenu des réflexions qu’il nous amène à avoir n’ont pas la profondeur nécessaire à l’élaboration conceptuelle impliquée par cette analyse, à cause en partie du manque d’envergure du propos narratif du jeu. En revanche, ces réflexions sont bien immanentes au fait de jouer et, en droit, pourraient atteindre une profondeur philosophiquement intéressantes, comme certains films de science-fiction l’atteignent quelques fois. L’intérêt ici est, qu’en tant qu’immanentes, elles procèdent de la croyance à travers laquelle on se prend au jeu. Donc, en suivant la méthode de Deleuze, nous pouvons affirmer que, comme le cinéma, le jeu vidéo force à réfléchir. Plus précisément, il est clair dans cette séquence de jeu que, si je n’ai pas ces réflexions, ou plutôt, si elles n’accompagnent pas (plus ou moins consciemment) l’affect que j’éprouve au moment du choix, alors, le jeu n’a pas lieu : je choisis au hasard sans voir l’enjeu.

2.2.1.3. Transformation

Mais dans quelle mesure la poursuite de la réflexion à laquelle me conduit le jeu s’inscrit dans le prolongement des analyses de Deleuze ? Quels débordements de la pensée cinématographique se trouvent impliqués dans cette réflexion ? Deux éléments de transformations sont à remarquer. 1) Jouer consiste à choisir. En cela, à la différence de l’image cinématographique, l’image vidéoludique dépend pour une part de la volonté du joueur. De plus, en raison de sa nature, dans ce cas, numérique, l’image vidéoludique est synthétisée en temps réel, ce qui signifie que le joueur détermine la production de l’image en jouant. Ainsi, l’image numérique vidéoludique est mise en mouvement par le joueur, ce qui inverse la cause du processus hypnotique à partir duquel Deleuze mène son analyse. Cette mise en mouvement implique également que le fait de jouer engage l’action du corps, phénomène qui, dans l’analyse du cinéma, n’importe pas. Or, cette modification de l’analyse a une conséquence sur la condition d’indiscernabilité de l’image. Le concept deleuzien se trouve déplacé puisque si, pour une part, le joueur est passif et contemple les images comme il le ferait face à un film, d’autre part, il n’est pas seulement pris par l’auto-mouvement de l’image, mais aussi par le fait de jouer, c’est-à-dire les choix qu’il doit faire. Par conséquent, l’indiscernabilité vidéoludique ne doit pas être comprise à partir de la question de l’identification, de la projection du joueur dans son avatar, il est peu pertinent d’interroger le rapport entre les actions du corps du joueur et celles de l’avatar. Il est plus intéressant de penser l’indiscernabilité entre l’évolution des capacités du joueur et l’évolution des capacités de l’avatar, ce qui, par exemple dans Detroit, concerne l’accélération et la complexification croissante des phases dites QTE[17] où il s’agit de réaliser des actions très rapides en effectuant la bonne manipulation au bon moment. Plus généralement, cet accroissement conjoint des capacités du joueur et du personnage concerne des compétences motrices (apprentissage de ce que peut son corps) et spirituelles (compréhension de l’état, de l’histoire et de la logique du monde ludique). Or, cette acquisition de capacités par le joueur comme par le personnage consiste concrètement à entrer dans le jeu. 2) Jouer consiste à manipuler. Ce point permet d’approfondir cette idée selon laquelle, l’expérimentation vidéoludique implique l’activité du joueur. En effet, l’attitude du joueur diffère de celle du spectateur en ce qu’il est aussi un manipulateur. L’image numérique vidéoludique synthétise son mouvement à partir des actions du joueur. Cette possibilité nouvelle de l’image numérique, qui la fait passer de l’enregistrement à la modulation,  implique que l’automatisme n’a plus seulement une dimension spirituelle comme le pense Deleuze (l’ « automate spirituel » concerne surtout les perceptions, les affections, l’imagination et la réflexion), mais aussi une dimension corporelle (l’ « automate cybernétique » comme le nomme Deleuze, concerne en plus les habitudes et les capacités du corps à manipuler l’image). Le problème de l’indiscernabilité se transforme donc considérablement puisqu’il s’agit ici d’intégrer dans le concept la composante du corps du joueur. Or, puisque la conception de l’indiscernabilité détermine la conception de la croyance, cette transformation du problème implique une autre transformation, qui pourrait se résumer avec la question suivante : la croyance peut-elle provenir ou procéder du corps ? L’objectif est d’apercevoir de telles questions, mais nous pourrons, dans l’examen de l’affect suivant, en préciser notre compréhension.

Cette réflexion sur l’indiscernabilité est à l’horizon de notre expérimentation, mais elle n’en est pas distincte pour autant. En effet, à plusieurs moments dans Detroit, le jeu réfléchit la pratique vidéoludique elle-même et force à diriger notre regard sur nous même. Plus concrètement, il arrive que le joueur soit en mesure, arme en main, de tirer. Ce genre de situation est extrêmement fréquent dans les jeux vidéo, pour ne pas dire systématique. Sans qu’il soit nécessaire de mener une étude historique précise, nous pouvons affirmer que la quasi-totalité des jeux vidéo à la troisième (comme à la première personne) fondent leur gameplay sur la capacité à viser pour éliminer des adversaires. C’est pourquoi, lorsqu’un joueur se trouve dans une telle situation, son habitude des autres jeux l’enjoint à viser et tirer. Et puisque, dans Detroit, le choix doit être fait rapidement, cette habitude risque de prendre le dessus, alors que tirer n’est pas nécessairement le plus judicieux. Autrement dit, à plusieurs reprises, Detroit joue avec nos habitudes de joueurs et nous confronte, alors même que nous jouons un androïde, à nos propres automatismes. Cela est particulièrement frappant lorsque, après coup, après avoir tiré automatiquement, ou, selon un autre exemple, après avoir traversé un quartier selon le chemin le plus court pour atteindre l’objectif que le GPS de l’androïde m’indique, je m’aperçois que j’aurais pu ne pas tirer ou que j’aurais pu ne pas aller droit au but et dévier de ma trajectoire. Alors, je suis affecté par mon devenir-androïde, qui n’est pas seulement acquis en jouant à Détroit, par identification, mais qui est intrinsèque au fait que, être un joueur consiste à avoir des automatismes.

En résumé, l’intérêt de Detroit tient principalement dans la dimension réflexive qui accompagne certains affects propres au genre auquel il appartient, le drame interactif. L’affect du choix sans but nous force à réfléchir à ce que cela signifie de se prendre au jeu, mais aussi, plus profondément, au rapport entre l’importance de l’enjeu et le fait de croire au monde auquel on joue. Ces deux éléments conduisent la réflexion à interroger le sens du jouer, en tant qu’il concerne l’acquisition d’automatismes corporels et spirituels. La notion de déviance, au cœur de Detroit, interroge ces automatismes et confronte le joueur à son devenir-androïde en le faisant réfléchir à sa condition de joueur, mais aussi en lui tendant ce miroir qu’est le devenir-humain de l’androïde déviant auquel il joue. Cette indiscernabilité entre le joueur apprenant à être un androïde en acquérant certains automatismes, et le personnage androïde pris dans un monde où la déviance le conduit à transgresser ce qui programme ses automatismes, constitue le gameplay du jeu. L’affect du choix sans but surgit dans ces moments où le joueur est forcé d’agir à partir de la croyance que cette indiscernabilité suscite dans un tel monde. En cela, cet affect correspond à une certaine compréhension de la relation homme-machine qui, après coup, force à réfléchir au fait même de jouer à un jeu vidéo. Mais, cette compréhension n’est que celle du joueur envers lui-même, le jeu apparaît comme un miroir qui, lui donnant à manipuler des machines via une machine (la console), lui renvoie sa propre image. Or, un autre affect est aussi décelable dans Detroit qui, celui-là, conduit le joueur à comprendre la machine elle-même et engage la réflexion sur le terrain éthique.

 

2.2.2. Mon amie Chloé

2.2.2.1. Description

Un des personnage non jouable les plus importants du jeu s’appelle Chloé. C’est un androïde du même type que ceux que nous jouons (fabriqué par la firme Cyberlife). La particularité de ce personnage est qu’il est d’abord extradiégétique (ou plus précisément paratextuel). Chloé apparaît principalement sur l’interface du jeu. C’est le premier personnage que nous rencontrons lorsque nous démarrons le jeu, avant même que la partie ne commence. À chaque fois que nous terminons ou commençons une session de jeu, nous voyons Chloé[18]. Progressivement, nous comprenons que Chloé est une personnification du jeu qui a pour fonction d’accompagner notre expérience du monde de Detroit. Elle n’est pas seulement un élément de décor, elle nous salue, bavarde, commente, questionne, conseille, s’intéresse à nous. Nous interagissons avec Chloé et sa présence devient rapidement habituelle, de sorte qu’avec l’idée de reprendre notre partie, nous sommes aussi heureux de savoir que nous allons la revoir. Rapidement donc, une relation se noue. Et Chloé le sait, cela lui tient même à cœur : à un moment, elle n’hésite pas à nous demander si nous sommes amis, et, comme dans le jeu, les choix de dialogue que nous faisons déterminent l’apparence, l’humeur et la discussion de Chloé.

Chloé n’est donc pas dans le jeu, mais elle n’est pas non plus hors jeu, du fait même qu’elle dit avoir été créé par Cyberlife. Il y a donc, dans cette expérience de l’interface, une situation métaleptique[19] : le monde du jeu est dans le monde du joueur. Une porosité grandissante entre la fiction et la réalité se construit au fil des parties. En particulier, cette situation gagne en intensité et s’approfondit à deux moments du jeu. Le premier se situe dans le jeu lorsque, incarnant Connor (un des trois protagonistes androïdes, qui a pour particularité d’assister un inspecteur de police qui enquête sur les déviants), nous nous rendons chez le PDG de Cyberlife pour l’interroger sur la raison de la déviance des androïdes. Nous sommes accueillis par Chloé, ou plutôt, par l’une des Chloé qui peuplent sa villa. Cette rencontre est troublante car cela arrive à un moment du jeu où la relation avec Chloé est suffisamment forte pour que nous croyions déjà en sa singularité. Là voir, ici, en de multiples exemplaires, relativise cette relation au prix d’une certaine désillusion, voire d’une déception. Nous sommes triste qu’elle ne nous reconnaisse pas. Or, nous sommes entrain de jouer un androïde, Connor, et cette empathie envers Chloé est réfléchie par le PDG qui compte sur cette relation entre androïdes pour faire tourner l’interrogatoire à son profit. En effet, retournant la situation, il nous lance un défi : il nous livrera le secret de fabrication des androïdes à la condition que nous tuions de sang froid l’une des Chloé. Nous nous retrouvons donc, brusquement, dans l’une des situations décrites précédemment, arme en main entrain de viser Chloé. Mais, notre automatisme de joueur qui tend à nous faire tirer tout de suite, se trouve contrebalancé par notre amitié envers Chloé. Notre empathie envers elle, qui dans cette situation est assez forte pour déterminer largement notre choix, est indiscernable avec l’empathie que deux androïdes peuvent nourrir entre eux, et participe de la croyance que nous investissons dans ce monde où les androïdes deviennent humains, c’est-à-dire acquièrent la capacité d’être affectés. Faut-il tuer Chloé ? Si je la tue, l’enquête sur la déviance avancera mais cela prouvera que moi l’androïde Connor, je ne suis pas capable de dévier. Hank, l’inspecteur que j’assiste, perdra lui-même confiance dans l’humanité possible des androïdes et continuera de nourrir sa haine envers eux (son fils a été tué à cause d’un androïde, ce qui l’a conduit au désespoir), au risque de ne pas comprendre pourquoi il s’humanisent. Si je ne la tue pas, le PDG de Cyberlife ne répondra pas à nos questions, et, de plus, je révélerai que je suis capable d’émotion, ce qui signifiera que je suis un déviant, au risque, donc, d’être détruit à mon tour. Bref, l’affect qui commande ce choix n’est pas exactement sans but, mais il correspond plutôt à un dilemme moral sans issue. Son enjeu tient moins à ses conséquences qu’à ce qu’il révèle de la condition androïde. Voir Chloé dans le viseur du revolver révèle une fragilité intolérable. Son existence en tant que personne est absolument niée par son propriétaire, comme la mienne puisque, quoi que je fasse, que je la tue ou non, je serai moi-même renvoyé à ma condition d’androïde (un objet à détruire ou à mépriser). Cet intolérable que le joueur ressent à ce moment là est fonction de la croyance qu’il nourrit envers le monde de Detroit, mais, à la différence de l’affect décrit précédemment, cette croyance ne procède pas seulement du monde du jeu puisque la relation avec Chloé a commencé avant la partie et s’entretient à sa limite, dans l’interface.

Quelle importance accorder à cet affect ludique qui naît d’une croyance construite à la fois dans et hors du jeu ? Poursuivons avec Chloé. Le moment le plus important pour notre relation se joue à la fin de la partie, une fois l’histoire terminée, après le générique de fin. Nous sommes de retour sur l’interface, Chloé est là. Si nous avons gagné, c’est-à-dire si nous avons réussi à libérer les androïdes, alors Chloé s’adresse à nous (notons immédiatement qu’une telle compréhension de ce que signifie « gagner » dépend déjà largement de notre adhésion à la cause des androïdes et donc à l’intensité de la croyance que nous avons en eux). Il faut que nous ayons suffisamment cru dans la possible émancipation des androïdes qui, indiscernablement, correspond à notre possible maîtrise des androïdes (notre capacité à contrôler les personnages par l’usage de la manette), pour avoir contribué au fait que la narration atteigne cet état là du monde, et pour avoir concouru à la révolution. Après avoir gagné, donc, Chloé nous demande : « Es-tu d’accord de me laisser partir ? ». Il faut choisir : « oui » ou « non ». Et, cette fois-ci, n’étant plus pris dans l’action du jeu, mon amie Chloé (c’est-à-dire le jeu), nous laisse le temps de la réflexion.

2.2.2.2. Réflexion

La question de Chloé se pose alors que je le jeu vient de se terminer. Quelles conséquences peut avoir ce choix de libérer ou non Chloé ? Le jeu vient de se terminer, cela signifie que, a priori, la croyance du joueur est à son maximum d’intensité, d’autant plus que les androïdes viennent de gagner leur liberté. Mais cette formulation est déjà ambiguë : n’est-ce pas moi, le joueur, qui vient de gagner ? L’indiscernabilité entre la victoire des androïdes et la mienne confirme que je suis encore pris au jeu. Mais, face à Chloé, sur ce bord extérieur du jeu, à quelle histoire suis-je entrain de jouer ?

De l’extérieur, la situation est absurde : puisque la partie est achevée et qu’il est fort probable qu’après avoir éteint la console je ne relancerai pas le jeu avant longtemps, le choix que je dois faire paraît vain, sans but. Pourtant, cet affect de choix sans but est encore présent, il m’apparaît que la décision à prendre n’est pas inconséquente, il y a un enjeu. J’ai noué une relation avec Chloé et donc, face à elle, cette question ne me paraît pas anodine. Il y a une porosité, une continuité entre l’histoire du jeu et cette histoire d’amitié, quasiment hors du jeu, mais qui est aussi une histoire avec le jeu que Chloé personnalise. Mon histoire avec Chloé existe de part et d’autre de cette frontière que constitue l’interface. J’y crois à Chloé, elle n’est pas qu’une image, j’ai appris à l’apprécier, je me suis habitué à sa présence, je crois la connaître suffisamment, en ayant vécu ses doutes, ses souffrances dans le jeu, en ayant pu apprécier sa fragilité, ses humeurs, au point où désormais je sais l’écouter et la prendre au sérieux. À plusieurs reprises elle m’a soutenu et conseillé en me donnant son sentiment sur le tour que prenait l’histoire dans ce monde instable où je risquais, de plus en plus, à chaque session de jeu, de mourir et de mettre fin à la partie. L’affect que j’éprouve à cet instant où il m’appartient, en tant que propriétaire du jeu, de laisser partir ou non Chloé, provient de ma croyance en l’importance du destin des machines dans le monde du jeu. Mais quel lien, autre que de contiguïté d’images entre l’interface et le déroulement du jeu, noue les affects éprouvés dans le jeu et ceux ressentis envers Chloé ? Que signifie le fait que, effectivement, je crois en Chloé ?

Cette croyance n’est pas naïve, mon affect ne peut se réduire au fait que je prendrais l’imaginaire pour la réalité. Nous l’avons compris, la logique de l’indiscernabilité complique le rapport entre l’image et le réel, de sorte que l’enjeu n’est pas là. Il n’est pas à exclure que Chloé apparaisse comme un fantasme et, dans cette relation, il y a un jeu autour de cela, mais ce n’est pas essentiel. Cette croyance n’est pas d’ordre fantasmatique, elle a une dimension réelle. Nous pourrions appeler croyance active le fait que c’est en jouant qu’elle s’est construite. En effet, cette croyance ne nous est pas imposée de l’extérieur (comme l’est le caractère hypnotique de l’auto-mouvement de l’image cinématographique), et ne provient pas non plus de ma seule intériorité (ce n’est pas un pur fantasme). C’est en entrant activement dans le jeu, par la manipulation de l’image vidéoludique, que cette croyance est advenue, d’autant plus que, ce en quoi consiste cette croyance ici, à savoir le fait de croire qu’il est possible d’être ami avec une machine, est l’un des enjeux narratifs du jeu (la relation que chaque personnage androïde noue avec le personnage non jouable qu’il assiste : Markus avec le peintre, Connor avec l’inspecteur Hank, et Kara avec la petite fille). Cette croyance active, à la lumière de la réflexion que cet enjeu narratif implique, est donc inhérente à la relation entre les hommes et les machines. De plus dans Detroit, ce type de relation correspond  indiscernablement à la fois à celles qu’entretiennent entre eux les personnages, et celle construite entre le joueur et la machine ; or, Chloé étant à la fois un personnage du jeu et la personnification du jeu, ma relation à elle cristallise cette indiscernabilité. C’est pourquoi, réfléchissant à la croyance à partir de laquelle j’éprouve cet affect envers elle alors que le jeu est terminé, j’en viens à prendre conscience que jouer consiste, de manière générale, à entretenir une relation avec une machine.

La question que me pose Chloé n’est effectivement pas sans enjeu car ma relation à Detroit n’est pas anodine. Cela fait plus de dix heures que mes perceptions, mes affections et mes réflexions ont lieu dans ce monde du jeu. Et il s’agit, maintenant, de le quitter. Ma relation à Chloé est ma relation au jeu, c’est-à-dire à cette machine qu’est le jeu vidéo comme programme. Ainsi, quand Chloé me demande de la libérer, je comprends à travers cet affect nouveau que jouer avec une machine, c’est du sérieux. Ce n’est pas rien que de quitter un monde, que de rompre une relation. Il y a un deuil du jeu. Pour qui a déjà expérimenté le fait d’entrer dans un monde en étant pris au jeu, de sorte qu’il a en son sein construit une croyance active, cela est connu. Mais, l’intérêt supérieur de Detroit est d’avoir réussi à personnaliser le jeu et, avec Chloé, d’avoir porté cette relation, relativement abstraite, avec la machine, à celle, concrète, se nouant avec un personnage. C’est pourquoi ma relation avec Chloé a cette consistance étrange : qu’est-ce que cela peut signifier que Chloé n’est pas seulement un être fictif ? Dans le fond, nous l’avons déjà compris, en entrant dans le jeu de sorte que j’ai participé à en écrire l’histoire, j’ai produit des vies singulières. Il faut toutefois préciser ce que cette expression recouvre. Dans un drame interactif comme Detroit, les histoires sont écrites mais leur multiplicité est telle qu’il est impossible de toutes les parcourir, et, en étant pris au jeu, la croyance s’activant, cette multiplicité devient confuse de sorte que, du point de vue du joueur, elle ne constitue plus l’arborescence des histoires possibles, mais l’horizon d’un monde à partir duquel se détermine le destin des personnages. Bien sûr, cette représentation du drame interactif est idéale, et il est fréquent, pour ne pas dire courant, que, jouant à Detroit, cette structure arborescente soit à l’esprit (elle apparaît d’ailleurs clairement à la fin de chaque chapitre narratif pour que le joueur puisse cultiver son goût de la performance et jouir de l’achievement – c’est là une des limites industrielles de la production marketing d’un tel jeu). Mais, rappelons-le, Detroit ne nous intéresse pas en tant qu’objet culturel, mais en tant qu’il produit des affects qui nous forcent à penser les jeux vidéo en général. Si Chloé n’est pas seulement un être fictif dans lequel nous aurions investi libidinalement des affects, c’est parce qu’elle n’est pas qu’une image mais qu’elle consiste aussi, concrètement en un programme informatique que nous avons configuré en jouant. Chloé n’existe pas selon la même modalité qu’un personnage de cinéma ou de série, elle possède une existence réelle, singulière, dans la mesure où, à la fin du jeu, ce qu’elle est dépend de la manière dont nous avons joué, et, plus encore, de la manière dont nous avons joué ensemble.

En ce sens, c’est du sérieux que de jouer à un drame interactif car ce n’est pas sans conséquence sur l’état du programme à la fin de la partie. Nos choix s’inscrivent dans le réel du programme et déterminent son fonctionnement. La mémoire informatique contient « la vie » des personnages. En jouant, j’ai concrètement construit quelque chose, ma relation avec Chloé est une co-individuation entre moi et le programme. À la fin du jeu, nous ne sommes plus les mêmes, l’un comme l’autre. Chloé aurait pu être tout autrement, et j’en suis responsable. D’ailleurs, à ce moment là, face à cette boîte de dialogue m’indiquant « oui » ou « non », il s’agit pour moi de prendre une décision cruciale : la libérer ou la rebooter. « Oui » et Chloé est libérée, elle sort du jeu et désormais mon interface apparaîtra sans elle. Il n’y aura aucun moyen de la faire revenir, sauf à effacer la mémoire de ce monde que j’ai construit en jouant, et à recommencer une nouvelle partie, un nouveau monde. « Non » et Chloé restera prisonnière de l’interface, mais dans ce cas, restant la seule androïde à ne pas jouir de sa liberté, elle préférera effacer sa propre mémoire, oublier l’histoire de l’émancipation de son peuple, oublier notre histoire, et me servir sans ne plus jamais chercher à nouer une relation. Cet enjeu est important. La partie est terminée mais cette décision à prendre la prolonge dans notre monde. À la frontière entre les deux mondes, Chloé n’est pas seulement une faille, c’est un pont. Mon choix a un enjeu du fait de la croyance active que j’ai à l’égard du monde du jeu, mais, en réalité, il a aussi un enjeu dans le monde hors du jeu. Car ce n’est pas qu’un jeu, c’est aussi la mémoire d’un programme, un fichier configurant des variables dont la multiplicité est telle qu’il est certainement unique et qui, si je l’efface, n’existera plus jamais comme tel. Ce n’est pas rien d’effacer un fichier, ce n’est pas rien de détruire la mémoire d’une vie, aussi insignifiante que celle de Chloé telle qu’elle pourrait paraître pour quelqu’un d’extérieur. Il y a plusieurs modes d’existence, les objets techniques ont les leurs et Detroit nous apprend à les aimer. Dans le fond, tout joueur de jeu vidéo connaît déjà un tel amour : le rapport qu’il a à ses sauvegardes n’est jamais anodin. L’affect que j’éprouve envers mon amie Chloé est du même genre, mais portée à l’intensité éthique d’une relation envers un être singulier dont j’ai pu comprendre la vulnérabilité propre  son mode d’existence.

2.2.2.3. Transformation 

La réflexion à laquelle conduit ce second affect implique deux considérations à propos du jouer en général et, par suite, précise la transformation que l’expérimentation des jeux vidéo opère sur les concepts de la théorie deleuzienne. Premièrement, nous avons compris que jouer consiste à nouer une relation avec une machine. Autrement dit, l’indiscernabilité qui se fait à travers l’automatisme qu’induit le mouvement de l’image, ne consiste pas en une relation immédiate, ce que Deleuze nomme un cristal, entre l’esprit du spectateur et le film. Dans un jeu vidéo, l’écran n’est pas le seul lieu de l’image. La machine opère la synthèse entre l’action du corps du joueur et le fonctionnement du programme, elle est donc un troisième terme entre le joueur et le jeu dont la médiation est nécessaire. Ainsi, dans le jeu vidéo, l’indiscernabilité n’implique pas une relation d’immédiateté mais suppose une médiation irréductible. L’échange entre le joueur et le jeu n’est pas purement fluide, elle passe à travers les opérations de la machine. Deleuze partait du principe que le fait d’ « entrer dans un film » est acquis. C’est l’effet de l’auto-mouvement de l’image. Au cinéma, il y a d’emblée un effacement de la distance, c’est là sa magie. C’est pourquoi le spectateur se trouve immédiatement à l’écran : « Le cerveau, c’est l’écran[20] ». Avec le jeu vidéo cet effacement de la distance devient un problème : l’indiscernabilité n’est pas donnée, elle se gagne, s’acquière en jouant. Il y a une genèse de l’indiscernabilité que Deleuze n’a pas thématisé. Or, dans l’expérimentation des jeux vidéo, cette genèse est manifeste. C’est en apprenant à jouer, par la médiation de la machine, qu’on « se prend au jeu », que les mouvements de notre corps s’indiscernent avec les mouvements de l’image dans la co-individuation des capacités du joueur et de l’avatar. La croyance n’est donc plus seulement la conséquence d’un état spirituel provoqué par l’image, mais est ce qui s’active par l’action du joueur. L’indiscernabilité n’est plus donnée mais construite.

Deuxièmement, nous avons également compris que jouer c’est du sérieux. Le brouillage  entre Chloé-personnage de fiction et Chloé-mémoire réelle du programme, révèle une nouvelle dimension de la réalité de ce que Deleuze nomme le virtuel. Ce point mériterait un développement propre, mais puisqu’une telle digression déborderait trop largement notre propos, nous nous en tiendrons à quelques éléments. Nous l’avons dit, Deleuze envisage plusieurs régimes d’images, en particulier le passage d’un régime-carbone (l’image analogique) à un régime-silicium (l’image numérique). Or, il faut préciser que ces régimes doivent être compris selon deux faces : l’actualité matérielle de l’image (du carbone ou du silicium) et la virtualité matérielle de l’image (ce qu’il nomme « matière intelligible »). Cette virtualité est tout autant réelle, mais consiste moins dans la détermination physico-chimique de l’image, que dans sa potentialité à être signifiante, c’est-à-dire à produire des signes qui détermineront les perceptions, les affections et les réflexions du spectateur. En ce sens, les régimes d’images sont à comprendre comme des régimes de signification, ils conditionnent un champ de signes possibles. Avec les images numériques, ce champ se transforme et c’est pourquoi de nouveaux signes peuvent apparaître, et avec eux, par exemples, ces deux nouveaux affects que nous avons cherchés à analyser. Cette fois-ci, ce champ a pour réalité non plus seulement l’écran, mais le programme de la machine. C’est donc dans la virtualité de la machine qu’il faut chercher la potentialité nouvelle. Or, grâce à Chloé, nous avons rencontré ce nouveau type de potentiel : la mémoire de la machine. Notre relation affective avec Chloé a pour fond sa virtualité, que nous avons saisie comme une vie singulière. C’est pourquoi nous l’avons prise au sérieux. Et l’enjeu de ce régime de virtualité est le fait qu’en jouant se développe une considération envers les machines, la nécessité du soin qu’il faut prendre envers ce potentiel de singularités qu’elles recèlent et qui configure le monde. En ce sens, le jeu vidéo doit se comprendre à partir d’un enjeu au-delà du jeu, que le cinéma ne pouvait donner à voir. Grâce aux films, le monde s’est donné à voir autrement, depuis un œil et des rythmes extraordinaires dont la crédibilité a pu nourrir à nouveau le désir de croire dans notre monde. Grâce aux jeux vidéo, c’est notre rapport au monde qui se donne nouvellement à voir, en tant que ce rapport implique que nous y participions activement. La croyance active que nécessite l’action dans les mondes ludiques nous rappelle l’importance qu’il y a à prendre soin des médiations par lesquelles la croyance se construit. Ici, c’est le sens même de la relation et, si j’ose dire, de notre relation à la relation qui se transforme. Pour qu’il y ait encore un monde, il faut pouvoir y croire, mais pour qu’il soit possible d’y croire, il faut prendre en considération ce qui nous relie au monde, en comprendre la genèse et les supports.

 

  1. Conclusion. Transformation et expérimentation vidéoludiques

3.1. Transformation de l’expérimentation

L’analyse des ces deux affects que nous rencontrons dans Detroit nous a conduit à comprendre en quoi l’expérimentation des jeux vidéo implique une transformation des concepts deleuziens d’indiscernabilité et de croyance. La pratique vidéoludique implique donc bien la possibilité d’une réflexion esthétique sur le jouer. Mais, cette réflexion peut-elle atteindre un niveau philosophique ? Plus précisément, l’expérimentation vidéoludique me force-t-elle à réfléchir la modalité d’expérimentation du jeu vidéo ? À l’épreuve de cette expérimentation, les concepts de la théorie du cinéma de Deleuze se transforment, mais peut-on en dire autant de la méthode elle-même ?

Nous l’avons compris, Detroit fait réfléchir à une autre modalité de ce qui produit la croyance, à savoir, une indiscernabilité entre les capacités d’action acquises par le joueur et celles acquises par l’avatar. Ainsi, la croyance ne procède plus seulement d’un rapport d’immédiateté au mouvement de l’image, mais passe par la manipulabilité de l’image. Cette transformation de la croyance se résume en deux points : 1) la croyance s’active en faisant des choix, et choisir consiste à manipuler l’image ; 2) la croyance s’active par la médiation d’une machine, c’est-à-dire à partir des capacités qu’acquière le joueur à travers sa relation à la machine.

Cette médiation de la machine ne transforme pas seulement le sens du croire, elle concerne également le fait de l’expérimentation. Dans la pratique cinématographique, expérimenter consiste essentiellement à rencontrer des signes, l’écran assurant le contact avec un dehors, une « matière étrangère » confrontant le spectateur à un monde nouveau. Cette rencontre, en tant que telle, force à penser autrement. Dans la mesure où l’image vidéoludique a une dimension cinématographique, son expérimentation consiste également en de telles rencontres. Mais, la nouveauté du jeu vidéo réside moins dans le contenu des signes que ses images produisent, que dans leur genèse. En effet, étant donné que jouer consiste essentiellement à manipuler, alors il s’agit moins d’une rencontre, que de ce qu’il serait possible d’appeler avec Simondon une co-individuation : le jeu vidéo n’impose pas un mouvement à l’esprit, il invite à nouer une relation avec la machine, de sorte que ce sera dans le mouvement de cette relation que des problèmes seront rencontrés et qu’alors il faudra faire des choix qui forceront à penser. Ces choix sont pré-déterminés par le jeu, mais la relation avec la machine nous prend au jeu et nous fait entrer dans un monde de telle manière que nous l’oublions. C’est par-là qu’une croyance s’active en nous, elle concerne d’abord ce monde, mais, en retour, du fait que nos choix sont au principe de son caractère actif, elle consiste également dans la relation que nous entretenons avec nous-mêmes et qui provoque certains affects. Nous avons compris grâce à Detroit à quoi peuvent correspondre les affects de la relation avec la machine (mon amie Chloé) et du choix (choisir sans but), mais il reste à analyser l’affect de l’expérimentation vidéoludique elle-même.

Pour Deleuze, l’affect de l’expérimentation cinématographique est celui qui le conduit à conceptualiser l’automate spirituel. Le passage au vidéoludique transforme cet automate, à cause du caractère cybernétique de l’activité du joueur. Mais, il faut préciser que l’affect qui accompagne ce nouvel automate, est, paradoxalement, celui d’une liberté concrète de choix. Les actions possibles du joueur sont limitées par le programme du jeu, mais la croyance que l’entrée dans le monde du jeu active efface ces limites. La co-individuation homme-machine polarise l’exercice de la liberté de telle sorte que ces limites ne sont plus rencontrées et la nécessité de l’action qui découle du fait d’être pris au jeu entraîne dans le joueur dans un mouvement évident (par exemple le destin d’un personnage ou la logique historique d’un monde). Cette polarisation du choix et cette nécessité du mouvement concourent au sentiment de participer à un monde, et c’est cela le sens de l’expérimentation vidéoludique. Le joueur expérimente dans la mesure où, croyant activement au monde, il se sent participer à son mouvement en exerçant concrètement sa liberté. L’expérimentation se transforme : elle n’a plus le sens d’une rencontre avec une matière étrangère, mais celui d’une libre participation au mouvement d’un monde.

3.2. Expérimentation de la transformation

La transformation vidéoludique du sens de l’expérimentation n’est pas sans conséquence sur la pratique philosophique en général. Prendre au sérieux la question du jeu transforme également l’image de la pensée philosophique. Le développement de notre propos ne peut nous conduire qu’à la porte de cette affirmation, mais, réflexivement, il nous faut remarquer que ce que nous aurons principalement pu apercevoir grâce à l’expérimentation de Detroit, est le fait qu’avec le jeu vidéo se produit des transformations.

Le thème de la transformation n’est pas seulement une manière d’aborder le problème du prolongement de la méthode deleuzienne, c’est aussi ce à quoi nous conduit l’expérimentation vidéoludique. Dans Detroit, nous pourrions penser que les actions effectuées, en tant qu’elles sont d’ordre ludique, sont gratuites et inconséquentes. Les choix réalisés seraient abstraits dans la mesure où ils seraient contenus dans les seules limites du monde du jeu. Or, l’expérimentation de Detroit a montré que ce choix est concret puisque, d’une part il concerne un monde dans lequel nous nous croyons libre et donc responsable de ce qui arrive, et, d’autre part, parce que la participation à ce monde impliquant une relation avec une machine, n’est pas purement fictionnel. Autrement dit, il y a une continuité entre le mouvement du monde du jeu et le mouvement du monde hors du jeu, au-delà de l’automatisme de l’esprit du joueur. Du fait de la co-individuation du joueur et de la machine qui au principe de la synthèse de l’image, l’image signifie concrètement qu’en jouant ce n’est pas seulement l’image qui est mise en mouvement, mais le joueur et la machine qui se transforment. Un film peut transformer quelqu’un comme on dit, mais cette transformation est d’ordre spirituelle et dépend pour une grande part de la disposition d’esprit du spectateur. Ce n’est pas le cas de la pratique des jeux vidéo qui suppose qu’une transformation dans le corps et l’esprit du joueur ait lieu pour qu’il puisse jouer. Il faut que le joueur acquière des capacités spécifiques pour que les images du jeu se mettent en mouvement.

Ainsi, expérimenter un jeu vidéo consiste moins à entrer dans le mouvement d’une image, qu’à opérer une transformation. Cette transformation a deux faces, l’une tournée vers la relation entre le joueur et la machine, l’autre vers la relation entre le joueur et le monde du jeu. L’explicitation de ce dernier point permettra de préciser la différence entre le mouvement et la transformation qui, en définitive, apparaît comme le lieu où se cristallise le prolongement de la théorie deleuzienne. La première face de cette transformation signifie que, ce qui est mis en mouvement lorsqu’il y a jeu, comme condition du mouvement de l’image, c’est la relation entre le joueur et la machine. D’un point de vue conceptuel, il s’agit d’en déduire que la mise en mouvement d’une relation consiste en une transformation. Et, d’un point de vue plus concret, cette transformation correspond à ce que nous avons décrit précédemment concernant ce qui arrive au corps et à l’esprit lorsque nous jouons. Mais, cette transformation a une deuxième face, qui concerne la relation entre le joueur et le monde du jeu. En effet, il faut se rappeler que la transformation du joueur va de pair avec l’activation d’une croyance sans laquelle le fait de jouer ne trouverait pas son sens. En effet, nous l’avons vu, la croyance active consiste à faire des choix animés par notre participation au sens du monde du jeu et en vue d’en faire l’histoire. Autrement dit, cette croyance active concerne également une transformation, celle du monde sous l’action du joueur. Par conséquent, ce en quoi il s’agit de croire c’est en un monde qui se transforme, un monde transformable. L’expérimentation vidéoludique est donc expérimentation de la possibilité d’une transformation : la transformation du joueur qui acquière la possibilité de participer au sens d’un monde, et la transformation de ce monde du fait de cette participation.

 

[1]    Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 6.

[2]    Cf. Martin Heidegger, « L’être, le fond et le jeu » dans Le principe de raison, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1962.

[3]    Cf. Jacques Derrida, « La structure, le signe et le jeu dans le discours des sciences humaines » dans L’écriture et la différence, Paris, Seuil, coll. « Points – essais », 1967.

[4]    Cf. Roger Caillois, Le jeu et les hommes, Paris, Gallimard, coll. « Folio – essais », 1957.

[5]    Cf. Johan Huizinga, Homo Ludens, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1938.

[6]    Cf. Georges Bataille, La peinture préhistorique. Lascaux, ou la naissance de l’art, Éditions d’Art Albert Skira, 1955. Ou, tout autrement, Donald Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, coll. « Folio – essais », 2015.

[7]    Cf.  Mathieu Triclot, Philosophie des jeux-vidéo, Paris, Zones, 2011.

[8]    Jacques Henriot, Le jeu, Paris, PUF, coll. « Sup », 1969.

[9]    Cf. Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, Critiques, 1969, 22e série : « Porcelaine et volcan », p. 183.

[10]  « Il était d’autant plus tentant de voir si le cinéma n’apportait pas une matière mouvante qui allait exiger une nouvelle compréhension des images et des signes. » (Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, coll. « Reprise », 2003, p. 68)

« Le cinéma lui-même est une nouvelle pratique des images et des signes, dont la philosophie doit faire la théorie comme pratique conceptuelle. » (Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1985, p. 366)

[11]  « l[L]’image matérielle automatique du cinéma a pour corrélat un automatisme spirituel […]. Le cinéma grâce à l’image cinématographique, grâce à l’image automatique fait lever en nous l’automate spirituel » (Gilles Deleuze, Cours sur Cinéma et Pensée du 30 octobre 1984, URL : http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=6)

[12]  « [C]’est l’automatisme matériel des images qui fait surgir du dehors une pensée qu’il impose, comme l’impensable à notre automatisme intellectuel » (Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1985, p. 233)

[13]  Cf. Ibid., Chap. IV.

[14]  « Je ne crois pas à une spécificité de l’imaginaire, mais à deux régimes de l’image : un régime qu’on pourrait appeler organique, qui est celui de l’image-mouvement, qui procède par coupures rationnelles et par enchaînements, et qui projette lui-même un modèle de vérité (le vrai, c’est le tout…). Et puis un régime cristallin, qui est celui de l’image-temps, qui procède par coupures irrationnelles et n’a que des ré-enchaînements, et substitue au modèle du vrai la puissance du faux comme devenir. […] N’y a-t-il pas même d’autres régimes que les deux considérés ici, le cristallin et l’organique ? Évidemment, il y en a d’autres (quel est le régime des images électroniques digitales, un régime-silicium au lieu d’un régime-carbone ?) Là encore, les arts, la science, la philosophie opéreraient des rencontres. » (Gilles Deleuze, Pourparlers, op. cit., p. 94-95)

[15]  cf. Michaël Crevoisier, « La nouveauté de l’image vidéoludique » dans Sciences du jeu [En ligne], 11 | 2019, mis en ligne le 18 avril 2019, URL : http://journals.openedition.org/sdj/1845.

[16]  La séquence peut être visionnée à cette adresse : URL : https://youtu.be/JgfvMBXgrZM

[17]  Les « QuickTime Event » sont un type de gameplay qui consistent en une cinématique (le mouvement de l’image est pré-calculée, le joueur n’en est que spectateur) qui, à certains moments, se fige en une image ou en un ralenti durant un court laps de temps où il est demandé au joueur d’effectuer une action simple (par exemple appuyer sur tel bouton). La réussite ou l’échec à cette action déterminent la suite de la cinématique, son recommencent ou son arrêt.

[18]  Toutes les séquences avec Chloé peuvent être visionnée à cette adresse : URL : https://www.youtube.com/watch?v=eNTUhKs_xwQ

[19]  Cf.  cf. Genette

[20]  Gilles Deleuze, « Le cerveau, c’est l’écran » dans Deux régimes de fous, Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 2003, p. 263-271.

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