Intervention d’Alain Naze (15/06/2024)


Pasolini. Le cri, le langage ; la parole, le théâtre.

La réflexion qui va suivre trouve son origine dans un étonnement. Un étonnement relatif à la position de Pasolini, quant au thème du « cri », selon qu’on l’aborde du strict point de vue de la langue, ou du point de vue du théâtre. D’une part, Pasolini fait du cri l’origine même du langage, et d’autre part, il rejette le « théâtre du geste et du cri », lorsqu’il tente de définir les contours de la forme théâtrale à laquelle il aspire, et qu’il nomme « théâtre de parole ». On cherchera à savoir quel est le nouage entre l’évolution, qu’il constatait, de la langue italienne, et les exigences formelles que lui semblait imposer la situation du théâtre, et plus généralement culturelles en Italie, dans les années 60. On verra ainsi comment Pasolini en vient à concéder une place (qu’il s’agira de définir précisément) à la langue italienne standard – qu’il aborrhait pourtant – dans le dispositif théâtral qu’il cherchait à définir dans son Manifeste pour un nouveau théâtre1.

Ce questionnement nous conduira à nous demander à quel public Pasolini destinait son « théâtre de parole », mais aussi et surtout quel rapport il envisageait entre cette forme théâtrale et le public. C’est sans doute ce dernier point qui nous mettra le plus sûrement sur la voie d’une compréhension de son rejet du « théâtre du geste et du cri », l’entraînant notamment vers un rejet des expérimentations propres au Living Théâtre. En effet, les conceptions linguistiques développées par Pasolini dans L’expérience hérétique2 auraient, a priori, laissé penser qu’il aurait pu ne pas être insensible aux innovations de Julian Beck et Judith Malina, le Living Théâtre recourant fréquemment à l’usage de formes langagières pré-grammaticales, et donnant une place centrale aux formes d’expression corporelle. Le « cri », envisagé théoriquement par Pasolini comme origine d’une langue enracinée dans les corps, n’aurait-il pas semblé, en effet, trouver son expression théâtrale dans certaines formes de spectacles émanant du Living Théâtre ?

En fait, c’est en inscrivant cette réflexion dans le champ spécifique du théâtre qu’on pourra saisir le sens des choix effectués par Pasolini, tout contre-intuitifs qu’ils puissent nous apparaître spontanément. La remise en question, notamment, de la césure entre public « passif » et public « actif », chez Jacques Rancière3 nous sera utile pour mieux saisir le ressort logique des positions de Pasolini concernant le théâtre. Il aurait été intéressant d’évoquer et d’analyser certaines pièces écrites par Pasolini, de manière à pouvoir juger mieux de la manière dont ses intentions théoriques concernant le théâtre pouvaient concrètement se traduire – dans les limites de cette intervention, j’ai dû renoncer à le faire. Peut-être serai-je amené, par la suite, à compléter ce texte dans cette direction ?

Sans insister plus que nécessaire sur les conceptions théoriques de Pasolini relatives au langage, il nous faut commencer par clarifier le statut qu’il attribuait au « cri », notion inséparable de celle de « purs parlants ».

Pour commencer, rappelons que, pour Pasolini, le Frioul de ses jeunes années est inséparable des sonorités de la langue frioulane, ou plutôt des diverses formes de cette langue régionale, strictement orale. Il insistait sur les multiples variations de cette langue, qu’il nommait « dialecte », en particulier du point de vue de la prononciation, variations qui lui permettaient, par exemple, d’identifier le village dont tel ou tel locuteur était natif. C’est tout un univers qui se trouvait charrié par ces sonorités du frioulan, pour le poète, langue, paysage, corps d’entre-répondant – ce sont aussi ses premières expériences érotiques qui s’articulent à travers ces sonorités. Le régime fasciste de Mussolini fera tout pour éradiquer les langues régionales, et la haine de Pasolini à l’égard de l’italien standard sera à la hauteur de la déperdition en termes d’expressivité, produite autoritairement, au profit d’une langue purement instrumentale, communicationnelle, bouleversement qu’il a vécu dans sa chair. C’est alors tout cet univers paysan du Frioul qui a ainsi été englouti, pour Pasolini, aiguisant sa mélancolie, inextinguible, pour ce monde perdu.

Il n’avait pas encore vingt ans, lorsqu’il entreprit d’écrire des poèmes en frioulan, ou plutôt, de réinventer une langue frioulane, certes artificielle, puisque parlée par personne, mais reconstituée à partir d’un dictionnaire, comme il l’explique. Il ne s’agissait donc pas, pour lui, de fixer et unifier, dans une forme écrite, les différentes versions de la langue frioulane. Par ces poèmes, il s’agissait de célébrer le monde charrié par les sonorités du frioulan. Écoutons les mots de Pasolini, rappelant cette expérience littéraire :

« […] j’en suis arrivé aujourd’hui, vingt-cinq ans après [le texte date de 1965] la première adoption écrite d’un son – d’un son pur, émis par des bouches de purs parlants – à penser la langue orale comme une catégorie distincte de toute “langue” et de toute “parole”, une sorte d’hypo- ou de méta- structure de toute structure pouvant être rattachée au cri »4.

À travers ces mots de Pasolini, on comprend que la rencontre de « purs parlants » introduit à une expérience où l’on fait face à des éléments langagiers relevant de la simple performativité, apparemment sans les ressources habituelles de la langue, dans le sens où ce parler n’est précédé d’aucune structure linguistique, ce qui en fait, à proprement parler, un « cri ». Si la langue des « purs parlants » est en effet riche d’un univers à même la langue, c’est que la réalité ainsi exprimée est incarnée dans un cri – on remarquera qu’il distingue la « langue orale » de toute « langue », comme de toute « parole ». Une parole articulée supposerait un monde explicitement médiatisé par la conscience qu’en ont les locuteurs, alors que le monde charrié dans un simple cri est essentiellement corporel, brut.

Reste à comprendre pourquoi Pasolini ne reproduira pas, concernant le théâtre, l’expérience qu’il avait effectuée à partir du frioulan, pour la poésie. Ce qu’il faut saisir, c’est que ses poèmes frioulans visaient à une expression artistique qui aurait pu ne pas « représenter ». René de Ceccatty l’indique clairement : « […] l’acte d’écrire de la poésie est, au départ, pour Pasolini, l’expression graphique de sons, purs, vierges de toute représentation »5. En poésie, l’usage / réinvention du frioulan par Pasolini ne vise donc ni à représenter le monde paysan, ni à figer en langue écrite le frioulan. C’est en cela (ce n’est pas la seule raison) que Pasolini ne peut former le projet d’un théâtre en langue régionale, car pour lui, le théâtre est « le lieu de l’oralisation en direct de l’écrit, un espace où les mots écrits peuvent être entendus comme une poésie mise en musique »6. Concernant le théâtre, Pasolini veut y éprouver l’oralité de la parole écrite. La démarche n’aurait donc pas de sens en langue frioulane, langue essentiellement orale – selon lui, un « théâtre de parole » ne devrait utiliser « que de manière ponctuelle les dialectes, purement oraux, au même niveau que les langues écrites et lues » (on retrouve ici le sens de son expérience poétique en frioulan)7. La question à se poser à présent est donc la suivante : de quelle langue écrite Pasolini cherchera-t-il à éprouver l’oralité dans le théâtre auquel il aspire ?

Pour approcher la question de la langue que Pasolini entend oraliser au théâtre, il faut d’abord évoquer les types de langues mises en œuvre dans les deux formes de théâtre qu’il rejette dans son Manifeste pour un nouveau théâtre, écrit en 1968, le « théâtre du bavardage » et le « théâtre du geste et du cri ». Ces deux formes, selon lui, entretiendraient « une haine de la parole »8 – quand il entend, comme on l’a dit, promouvoir un « théâtre de parole ».

Concernant ce qu’il nomme « théâtre du bavardage », Pasolini considère qu’il s’inscrit dans la filiation du « théâtre traditionnel », lequel aurait accepté la « conventionnalité de l’italien oral », acceptant ainsi « un italien qui n’existe pas », fondant sur cette conventionnalité celle de la « diction »9. C’est que s’il juge que l’imposition de l’italien en langue écrite a été « autoritaire », il la juge en même temps « inévitable », quand bien même cette langue écrite se caractériserait par « son caractère artificiel et purement pratique » (langue instrumentale) ; en revanche, il considère que « pour ce qui est de l’italien oral, il a été tout simplement impossible d’accepter cette imposition de type nationaliste et cette nécessité d’ordre pratique »10 – ce qui se comprend aisément à travers cette remarque de Pasolini, dans son Manifeste : « […] si un italien écrit une phrase, il l’écrit de la même manière dans n’importe quel lieu géographique ou à n’importe quel niveau social de la nation, mais s’il la dit, il la dit différemment de n’importe quel autre italien »11. Autrement dit, la langue italienne standard n’existerait qu’à l’écrit, pas à l’oral, sauf sous la forme monstrueuse du parler médiatique qu’évoque Pasolini, quand il parle de « la langue informative orale-écrite du speaker »12. Ainsi, le « théâtre du bavardage », forme purement académique du théâtre traditionnel, serait la forme théâtrale où le bavardage remplacerait la parole : « […] par exemple, au lieu de dire sans humour, sans aucun sens du ridicule et sans bonnes manières, “Je voudrais mourir”, on dit “Bonsoir” avec amertume »13. Or, ce que souligne Pasolini, c’est que ce « Bonsoir » prétend relever du bavardage, alors qu’en Italie, personne ne « bavarde » ainsi, cette simple formule présentant, « dans la vie réelle de l’italien oral, autant d’aspects phonétiques que de groupes réels d’italiens qui le prononcent ».14 Le théâtre « du bavardage » constituerait donc pour Pasolini un produit de la civilisation bourgeoise, plus précisément « un rituel où la bourgeoisie se reflète, en s’idéalisant plus ou moins, mais en se reconnaissant toujours, quoi qu’il arrive »15.

Cependant, le « théâtre du geste et du cri » n’aurait pas, selon Pasolini, une autre origine, c’est-à-dire qu’il constituerait tout autant une production de la civilisation bourgeoise. Pour dire les choses plus précisément, comme elles sont formulées dans le Manifeste, ce théâtre du geste et du cri « est un rituel où la bourgeoisie (restaurant à travers sa propre culture antibourgeoise la pureté d’un théâtre religieux), d’une part se reconnaît (pour des raisons culturelles) en tant que productrice de celui-ci, et d’autre part éprouve le plaisir de la provocation, de la condamnation et du scandale (à travers lesquels elle n’obtient, au final, qu’une confirmation de ses propres convictions) »16. Adoptant « une posture polémique contre la bourgeoisie », le théâtre du geste et du cri (d’Artaud au Living Théâtre) se révèlerait « un produit de l’anti-culture bourgeoise » ; en cela, il partagerait avec le « théâtre de parole » visé par Pasolini un point commun, à savoir le fait d’être « des produits de groupes culturels antibourgeois de la bourgeoisie » – la différence, cependant, résiderait dans le fait que le théâtre du geste et du cri aurait « pour destinataire […] la bourgeoisie à scandaliser », alors que le théâtre de parole aurait « pour destinataire les groupes avancés eux-mêmes par lesquels il est produit »17. Nous reviendrons plus loin sur ce point, mais indiquons déjà que, pour Pasolini, le théâtre relève du « rite ». Seulement, il considère que certaines formes de ritualisation du théâtre ne sont plus aujourd’hui possibles et/ou souhaitables. Ainsi, le théâtre ne pourrait et /ou ne devrait plus relever du rite religieux, non plus que du rite politique (comme cela aurait été le cas à Athènes), pas plus que du rite social (rite définissant le théâtre bourgeois), pas davantage d’un rite théâtral (tendance rituelle qu’il attribue au Living Théâtre comme théâtre underground), mais devrait relever d’une forme de rite « culturel » (statut qu’il accorde au théâtre de parole, qu’il vise). Si Pasolini désigne le théâtre du geste et du cri comme relevant d’un rite théâtral, c’est qu’il considère que ce théâtre se constitue sur les bases du théâtre bourgeois, comme rite social, avec cet écart propre à l’acquisition d’une « conscience nouvelle de sa propre ritualité »18. Pour le dire plus clairement, avec les mots de Pasolini : « Conscience qui semble être tout à fait acquise […] pour le théâtre bourgeois antibourgeois, qui, en rageant contre le théâtre officiel de la bourgeoisie et la bourgeoisie elle-même, prend surtout pour cible son côté officiel, son establishment, en clair son manque de religion »19. Pasolini s’oppose donc (« avec rage, indignation et nausée »20, dit-il) à cette religion du théâtre, que réactiverait le théâtre du cri, y discernant « une tautologie naissant d’un esprit religieux archéologique, décadent et culturellement vague, facilement intégrable par la bourgeoisie à travers le scandale qu’il veut susciter »21.

Concernant spécifiquement la question de la langue, la critique de Pasolini à l’égard du théâtre du geste et du cri peut se formuler ainsi : la parole s’y subordonne à la présence physique. Là encore, citons les mots du Manifeste, pour saisir au plus près le sens de cette critique :

« Quant au théâtre de contestation (que nous appelons ici du Geste ou du Cri), le problème de la langue orale ne s’y pose pas, ou bien s’y pose seulement comme un problème secondaire. Dans ce théâtre, en effet, la parole, en position ancillaire, intègre la présence physique. Et puis en général, elle accomplit le rôle qui lui appartient à travers une contre-façon désacralisante – tendant à imiter le geste, et donc à être pré-grammaticale, jusqu’à se faire carrément interjective : borborigme ou cri »22.

Pour comprendre ce qui est énoncé ici, il ne faut pas oublier que, pour Pasolini, le théâtre est oralisation de l’écrit. Un théâtre bourgeois antibourgeois ne saurait faire revivre un monde de corps, où la langue exprimait directement cette corporéité. Dès lors, on aurait à faire à une démarche de restauration, évidemment impossible, de religiosité archaïque. Ce qui émerge d’une telle entreprise, ce serait donc une forme de religion du théâtre :

« […] dans certains cas, telle religiosité archaïque restaurée par colère contre le laïcisme crétin de la civilisation de consommation finit […] par devenir une forme d’authentique religiosité moderne (qui n’a rien à voir avec les anciens paysans, et beaucoup à voir en revanche avec l’organisation moderne de la vie) »23.

Si Pasolini, précisément, a abjuré les films de la Trilogie, c’est bien qu’il avait compris qu’il était impossible de ramerner à la vie (y compris par le détour d’une forme artistique visuelle) un monde disparu, et que les corps à l’écran avaient cessé de faire scandale, récupérés dans le cadre d’une logique consumériste. Renouer avec le cri à l’origine du langage, renouer avec les corps s’originant en ce cri, c’est pourtant ce à quoi s’acharne le théâtre du geste et du cri, raison pour laquelle Pasolini taxe cette tentative de « religieuse », d’opération magique, issue d’une religion du théâtre. Ses films de la Trilogie lui ont finalement semblé incapables de faire revivre un univers paysan archaïque. Ce qu’il a compris pour son propre cinéma, en 1975, il l’avait déjà compris, certes selon une autre perspective, en 1968, concernant le théâtre – il pensait alors encore que, par le recours à l’image, au cinéma, les choses nétaient pas encore jouées, et que des corps plébéiens pouvaient, ainsi, ouvrir une brèche dans notre monde soumis à un mouvement d’homologation consumériste. .

Cette religiosité, propre au théâtre du geste et du cri, suppose une non-séparation entre la scène et le public, une absence de médiation, rendant possible une forme de communion. Cette évocation de la pièce Paradise Now permet de saisir quelque chose de ce que Pasolini désignait comme religiosité du théâtre du geste et du cri, appliquée ici à un spectacle du Living Théâtre :

« Paradise Now dure quatre ou cinq heures. Le plan programme de Paradise Now reproduit les deux figures : d’Adam et Éve dont les pieds s’ancrent au premier échelon et dont la tête dépasse le temps et l’espace de la représentation théâtrale, au-delà du huitième échelon.

À chacun des huit échelons, un rite inspire une vision qui donne lieu à une action.

À chaque échelon, les acteurs ont tiré l’I-Ching.

La réponse fournie par le I-Ching figure sur la carte et guide les acteurs dans leurs improvisations pour les parties correspondantes : “Chacune des étapes commence par un Rite, qui est le moment où nous nous mettons à agir, où nous entrons dans une phase préparatoire. Un rite que nous aimons. Cela nous donne de l’élan. Ensuite nous jouons une courte scène, que nous appelons une Vision, entre l’exaltation et l’Action. C’est la clarification du thème”.

Les visions sont des images rêvées, produites par les rituels. Le spectateur n’est pas convié à jouer les rites et les visions. Les actions, que les textes introduisent, s’apparentent plutôt à une improvisation commune du public avec les acteurs »24.

Le public est donc conduit, dans des conditions définies, à participer au spectacle, comme s’il s’agissait de le sortir d’une forme de passivité, leur condition active (supposée en passer par une action manifeste) apparaissant comme condition de possibilité de l’actualisation d’un rite, effectuation d’un événement.

Reste à envisager, à présent, la manière dont Pasolini définit son théâtre de parole. Le point capital, concernant le projet pasolinien d’un tel théâtre, c’est qu’il s’agira d’une forme théâtrale établissant une égalité entre l’auteur de la pièce et le public :

« Les destinataires du nouveau théâtre ne seront ni divertis ni scandalisés par le nouveau théâtre, car, appartenant aux groupes avancés de la bourgeoisie, ils sont en tout point égaux à l’auteur des textes »25.

Pasolini définit ces « groupes avancés de la bourgeoisie » (qu’il distingue de « la bourgeoisie »26 en tant que telle) comme « les quelques milliers d’intellectuels de chaque ville dont l’intérêt culturel serait peut-être naïf, provincial, mais réel »27. Ce théâtre ne s’adressera donc pas à la bourgeoisie elle-même, et, d’autre part, au-delà des « groupes culturels avancés », Pasolini considère que ce nouveau théâtre sera le seul à pouvoir atteindre la classe ouvrière. Il s’en explique ainsi :

« Celle-ci [la classe ouvrière] est en effet unie par un rapport direct avec les intellectuels avancés. C’est là une notion traditionnelle et inéliminable de l’idéologie marxiste et sur laquelle aussi bien les hérétiques que les orthodoxes ne peuvent pas ne pas être d’accord, comme sur un fait naturel »28.

En écartant la voie d’un « ouvriérisme dogmatique »29, Pasolini envisage la possibilité, pour ce théâtre, d’aller, avec ses textes, « dans les usines et dans les cercles culturels communistes, et peut-être même dans ces salles où l’on trouve encore des drapeaux rouges datant de 1945 »30.

En ce qui concerne la langue qui sera parlée dans ce théâtre, Pasolini reconnaît que cette forme théâtrale ne pourra pas éviter une contradiction. En effet, le « théâtre de parole » partagera « la conventionnalité de l’italien oral », avec « le plus abject des théâtres bourgeois »31. Ainsi, alors que ce nouveau théâtre cherche à passer par-dessus la bourgeoisie, il se trouve, de ce fait, lié à la bourgeoisie. Pour dépasser cette contradiction, Pasolini va jusqu’à envisager « la fondation d’une véritable école de rééducation linguistique »32, visant à éviter « tout purisme dans la prononciation », en ce sens que, selon lui :

« L’italien oral des textes du théâtre de Parole doit être homologué jusqu’au point où il reste réel : c’est-à-dire jusqu’à la limite entre la dialectisation et le canon pseudo-florentin, sans jamais dépasser cette limite »33.

Dans une note du Manifeste, Pasolini reconnaît à cet égard à Carmelo Bene (qu’il situe pourtant du côté d’un « théâtre du geste et du cri ») le statut d’exception, en ce que, lui, au moins, aurait posé le problème de l’identification entre conventionnalité orale de l’italien et conventionnalité de la diction théâtrale :

« Il y a le cas extraordinaire de Carmelo Bene, dont le théâtre du Geste et du Cri est intégré à une parole théâtrale qui désacralise, et, pour le dire en un mot, se conchie elle-même »34.

En précisant en quoi, dans l’usage d’un italien oral conventionnel, le théâtre de parole saura éviter de dégénérer en une forme de nouvel académisme, Pasolini nous conduit au centre de la question de la nature spécifique et du sens profond de ce nouveau théâtre :

« [Il s’agira] de rester fidèle aux principes du théâtre de Parole, c’est-à-dire à un théâtre qui soit avant tout débat, échange d’idées, lutte littéraire et politique, sur le plan le plus démocratique et le plus rationnel possible : donc à un théâtre attentif à la signification et au sens avant tout, et excluant tout formalisme (ce dernier voulant dire, sur le plan oral, complaisance et esthétisme phonétique) »35.

C’est là que l’égalité, indiquée tout à l’heure, entre auteur et public prend tout son sens. Sans vouloir – chose impossible (puisqu’il l’identifie à une forme théâtrale relevant du rite politique) – en revenir au théâtre de l’Antiquité grecque, Pasolini avoue « se rapporter explicitement au théâtre de la démocratie athénienne », en ceci qu’en assistant aux représentations du théâtre de parole, il s’agirait de le faire « avec l’idée d’écouter plutôt que celle de voir (restriction nécessaire pour mieux comprendre les mots que vous entendrez, et donc les idées, qui sont les réels personnages de ce théâtre) »36. L’acteur de ce nouveau théâtre ne devra donc plus fonder son habileté ni sur son charisme individuel (théâtre bourgeois), ni « sur une espèce de force hystérique et médiumnique (théâtre antibourgeois) », mais bien « sur sa capacité à vraiment comprendre le texte »37. Précisant ce qu’il vise ainsi, Pasolini indique bien que ce nouveau théâtre ne devra pas se mettre au service d’un « message », mais bien d’une transmission vivante du texte lui-même :

« Il [l’acteur] devra se rendre transparent sur le plan de la pensée : et il sera d’autant meilleur qu’en l’entendant dire le texte, le spectateur comprendra qu’il a compris »38.

C’est donc à une « suspension du sens » (expression revenant fréquemment sous la plume de Pasolini) auquel tendrait un tel nouveau théâtre, avec la volonté de mettre en place une représentation ouvrant sur la discussion. C’est bien là que se révèle l’orientation démocratique du théâtre de parole, en tant que rite culturel. En précisant quelle pourrait être la nature des textes de ce nouveau théâtre, Pasolini l’indique clairement, en soulignant qu’il pourrait s’agir de « textes fondés […] sur des thèmes qui pourraient typiquement être ceux d’une conférence, d’une assemblée idéale ou d’un débat scientifique »39. On comprend dès lors pourquoi, dès les premières pages du Manifeste, Pasolini en appelait à une attitude du spectateur définie à travers

« cette confiance presque mystique dans la démocratie qui permet un dialogue totalement désintéressé et idéaliste sur les problèmes posés ou débattus (en suspension de sens !) par le texte »40.

On peut dès lors penser qu’il s’agirait, à travers une telle suspension de sens, non seulement d’ouvrir à la possibilité d’un usage du libre-arbître du spectateur (interprétant le texte), mais sans doute aussi d’ouvrir à une possibilité de ne pas comprendre, et peut-être même de ne pas chercher à le faire, comme en face de certains textes poétiques.

Le théâtre de parole de Pasolini dessine donc bien la figure d’un spectateur conduit à une certaine activité, de questionnement, d’écoute attentive, et l’on saisit ainsi l’écart qui existe entre une telle action du spectateur et celle que le Living Théâtre pouvait attendre du public venant assister à ses représentations. Dans ce dernier cas, c’était le corps des spectateurs, mis en mouvement, par exemple en montant sur la scène, qui définissait ce que pouvait être un public actif. C’est ici que Jacques Rancière peut s’avérer une référence utile dans le cadre de cette réflexion, en ce que, dans Le spectateur émancipé, il s’oppose à cette idée selon laquelle, il n’y aurait d’action chez le spectateur qu’à la condition qu’il devienne un participant actif, cessant donc, au sens strict, d’être un spectateur, ce dernier étant alors condamné à une position identifiée comme celle d’un voyeur passif.

Plus précisément, Rancière va définir ce qu’il appelle « le paradoxe du spectateur », auquel aboutiraient de nombreuses critiques adressées au théâtre. Il va en privilégier deux, la critique portée par Brecht, et celle portée par Artaud. Dans les deux cas, le rôle de spectateur serait considéré comme un « mal », le paradoxe consistant en ce que, par ailleurs, il n’y a pas de théâtre possible sans spectateur(s). Dans le cas de la critique brechtienne, Rancière identifie ainsi l’accusation portée contre le spectateur :

« […] regarder est le contraire de connaître. Le spectateur se tient en face d’une apparence en ignorant le processus de production de cette apparence ou la réalité qu’elle recouvre ».

Dans le cas de la critique dans le sillage d’Artaud :

« [Être spectateur], c’est le contraire d’agir. Le spectateur demeure immobile à sa place, passive. Être spectateur, c’est être séparé tout à la fois de la capacité de connaître et du pouvoir d’agir ».

Ainsi, la critique brechtienne conduirait le spectateur à prendre de la distance, quand la critique issue d’Artaud appelle le spectateur à perdre toute distance. Le spectateur devrait donc, soit « affiner son regard », soit « abdiquer la position même du spectateur ». Jacques Rancière précise d’aiileurs que les tentatives modernes de réforme du théâtre ont « constamment oscillé entre ces deux pôles de l’enquête distante et de la participation vitale, quitte à mêler leurs principes et leurs effets ». Au fond, ces deux attitudes critiques se rejoindraient à travers cette idée que le théâtre se devrait d’être « une médiation tendue vers sa propre suppression » – dans le sens où, selon le « paradigme brechtien », le théâtre constituerait une médiation en vue de rendre les spectateurs conscients de la situation sociale, et, donc, aptes et désireux de la transformer, en supprimant du même coup la situation qui a rendu possible la représentation théâtrale ; selon « la logique d’Artaud », à présent, il s’agirait d’arracher les spectateurs à leur position de spectateurs, ou, comme le formule Rancière, « au lieu d’être en face d’un spectacle, ils sont environnés par la performance, entraînés dans le cercle de l’action qui leur rend leur énergie collective ».

On ne va pas entrer dans tout le détail de l’argumentation propre au livre de Jacques Rancière, mais l’on va s’intéresser, à présent, à la manière dont il parvient à remettre en question les oppositions, comme les équivalences, charriées par les deux formes de critiques du théâtre qui viennent d’être évoquées. Ces oppositions et équivalences, l’auteur les formule ainsi :

« équivalences entre public théâtral et communauté, entre regard et passivité, extériorité et séparation, médiation et simulacre ; oppositions entre le collectif et l’individuel, l’image et la réalité vivante, l’activité et la passivité, la possession de soi et l’aliénation ».

Pour effectuer ces remises en question, Jacques Rancière opère un rapprochement avec l’analyse qu’il avait conduite, dans Le maître ignorant : 5 leçons sur l’émancipation, relativement à la relation pédagogique, en vue de dégager des voies possibles vers une émancipation intellectuelle. On se souvient en effet qu’il y définissait alors la relation pédagogique comme consistant, pour le maître, à supprimer la distance entre son savoir et l’ignorance de l’ignorant. Or, cette réduction du gouffre entre le maître et l’élève, dans ces conditions, ne peut s’effectuer qu’à travers le geste de recréer sans cesse ce gouffre. Ce que Jacques Rancière formule ainsi, dans Le spectateur émancipé :

« Pour remplacer l’ignorance par le savoir, [le maître] doit toujours marcher un pas en avant, remettre entre l’élève et lui une ignorance nouvelle. La raison en est simple. Dans la logique pédagogique, l’ignorant n’est pas seulement celui qui ignore encore ce que le maître sait. Il est celui qui ne sait pas ce qu’il ignore ni comment le savoir. Le maître, lui, n’est pas seulement celui qui détient le savoir ignoré par l’ignorant. Il est aussi celui qui sait comment en faire un objet de savoir, à quel moment et selon quel protocole ».

Or, tout supposé ignorant est en fait quelqu’un qui sait des choses, qui les a apprises de lui-même, par expériences, en observant, en répétant, en faisant des erreurs et en les rectifiant. Il n’est donc pas un récipient vide dans lequel le maître viendrait verser le savoir. Ainsi que le résume Rancière :

« L’ignorant progresse en comparant ce qu’il découvre à ce qu’il sait déjà, selon le hasard des rencontres mais aussi selon la règle arithmétique, la règle démocratique qui fait de l’ignorance un moindre savoir ».

C’est ainsi qu’on peut comprendre ce qu’il vise lorsqu’il parle d’une « égalité des intelligences ». Or, ce que le protocole de transmission du savoir propre à la relation pédagogique apprend à l’élève, « c’est que l’ignorance n’est pas un moindre savoir, elle est l’opposé du savoir ». L’élève se voit donc ainsi enseignée sa propre incapacité, ce qui constitue une négation de l’égalité des intelligences – c’est cette vérification sans fin de sa propre incapacité par l’élève que Jacotot nommait « abrutissement », et qu’il opposait à « l’émancipation ». Rancière écrit :

« Il n’y a pas deux sortes d’intelligence séparées par un gouffre. […] De cet ignorant, épelant les signes, au savant qui construit des hypothèses, c’est toujours la même intelligence qui est à l’œuvre, une intelligence qui traduit des signes en d’autres signes et qui procède par comparaisons et figures pour communiquer ses aventures intellectuelles et comprendre ce qu’une autre intelligence s’emploie à lui communiquer ».

C’est en ce sens, par conséquent qu’on peut soutenir que le maître ignorant ignore même ce qu’il transmet. Il ne peut pas savoir a priori de quelle manière seront reçus les éléments qu’il communique, comment ils seront agencés avec d’autres éléments de connaissance, déjà présents chez l’élève, et issus de ses propres observations et expériences.

On peut à présent en arriver explicitement à la question du théâtre, et, plus précisément, du spectateur de théâtre. S’il est bien évident que le temps du théâtre didactique visant à délivrer au public la vérité concernant la réalité sociale, et à lui indiquer les moyens de lutter contre la domination capitaliste est passé, cependant, Rancière établit un parallèle entre « les réformateurs théâtraux » et « les pédagogues abrutisseurs » : ce qui les relie, ce serait la commune conviction de l’existence d’un gouffre séparant deux positions. L’auteur livre ici une formule qui éclaire notre questionnement :

« Même si le dramaturge ou le metteur en scène ne savent pas ce qu’ils veulent que le spectateur fasse, ils savent au moins une chose : ils savent qu’il doit faire une chose, franchir le gouffre qui sépare l’activité de la passivité ».

Une telle position présuppose donc la passivité du spectateur, ce qui implique que, dans une volonté de supprimer la distance entre la scène et la salle, on crée initialement une distance. On comprend que la position de Pasolini est diamétralement opposée à celle-ci, lui qui postule une stricte égalité entre l’auteur et le spectateur. Jacques Rancière résume ainsi sa propre conception d’un spectateur émancipé :

« L’émancipation […] commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir. […] Le spectateur aussi agit, comme l’élève ou le savant. Il observe, il sélectionne, il compare, il interprète ».

Un spectacle théâtral constituerait donc une proposition faite à un public, sans que l’auteur ni les acteurs ne puissent anticiper (ni même mesurer tout à fait) les effets que cela produira chez les spectateurs. C’est au fond la condition même de toute communication entre égaux. Les mots prononcés sur scène seront même reçus différemment par chacun, en fonction de l’écho qu’ils entretiendront avec tel ou tel texte, ou poème en mémoire chez un spectateur. Il me semble bien que la théâtre de parole envisagé par Pasolini vise à une telle émancipation du spectateur. En témoignent ces presque derniers mots du Manifeste :

« Le théâtre de Parole cherche son “espace théâtral”, non pas dans un quelconque milieu, mais dans la tête.

Techniquement, un tel “espace théâtral” sera frontal : textes et acteurs face à un public : c’est d’absolue parité culturelle entre ces deux interlocuteurs qui se regardent dans les yeux, qui est la garantie d’un réel démocratisme, y compris d’un point de vue scénique »41.

Pour finir, et puisque je n’ai pas eu le temps d’évoquer au moins certaines des pièces écrites par Pasolini, j’aimerais évoquer quelques remarques de Stanislas Nordey, qui a mis en scène quatre pièces de Pasolini, Calderon, en 1993, Pylade en 1994, Porcherie, en 1995, et qui s’apprêtait à mettre en scène Affabulazione, en 2015, année de son interview par Pierre Katuszewski. Ce qui me semble important, c’est le moment où le metteur en scène indique que le théâtre de Pasolini, sans en passer par les provocations de ce qu’il aurait nommé le « théâtre du geste et du cri », est capable de scandaliser à travers les ressources de la seule parole. C’est ce qu’il dit avoir expérimenté lui-même, lors de la représentation d’une pièce, qui n’était pas de Pasolini. Écoutons Stanislas Nordey, que je juge utile de citer un peu longuement :

« Pour Pasolini, l’important est de faire entendre le texte. Il écrit un grand manifeste pour dire tout ça mais, en gro, le Manifeste pour un nouveau théâtre, c’est juste dire que les gens viennent écouter de la pensée. […]

On peut le prendre plus ou moins au pied de la lettre quand on le met en scène. De mon côté, j’ai toujours pensé que la force du théâtre passait d’abord par la parole plus que par les images. En tous les cas, pour que quelque chose puisse déranger, inquiéter, quand on va an théâtre, me semble-t-il, cela passe plus par les mots.

Pour mieux me faire comprendre, je vais raconter une expérience personnelle. En 2002, j’ai monté L’Épreuve du feu de Magnus Dahlström, une pièce sur des tueurs d’enfants. C’est l’histoire de huit tueurs d’enfants qui racontent comment ils tuent leurs victimes. C’est extrêmement clinique, violent, etc. On l’a joué au festival “Mettre en scène” à Rennes. La même année, il y avait Rodrigo Garcia dans une autre salle ; dans son spectacle, il y avait des gens qui pissaient sur scène, qui se scarifiaient un peu, etc. Il y a eu un énorme scandale qui a mobilisé jusqu’au conseil municipal de la ville. C’est notre spectacle qui a fait scandale, pas celui de Rodrigo Garcia. C’est un des spectacles les plus radicaux que j’ai faits dans ma vie. Les acteurs étaient face au public et disaient le texte très précisément, il ne se passait rien sur scène. C’est ça qui a fait scandale. J’ai toujours pensé que ce qui dérange véritablement, c’est ce qu’on dit.

Mon esthétique, c’est plutôt un théâtre à entendre qu’à voir même si je donne aussi des images à voir.

Je pense que quand Pasolini écrit ça, c’est aussi pour affirmer la spécificité du théâtre par rapport au cinéma. Le cinéma, ce sont les images. Dans son cinéma, d’ailleurs, il y a en général peu de mots. Pour lui, le théâtre ne doit pas s’encombrer d’images »42.

Ces dernières remarques, de Stanislas Nordey, concernant la distinction pasolinienne entre théâtre et cinéma, me conduisent à évoquer, très rapidement, le film, sorti en 1969, Porcherie. Ce film est constitué de deux parties juxtaposées, qui s’entre-répondent, l’une située dans un univers contemporain de la grande-bourgeoisie industrielle, l’autre située dans un passé difficilement situable, sans doute moyen-âgeux, sur les pentes de l’Etna. Dans l’épisode contemporain, il s’agit, d’une certaine manière, d’adapter cinématographiquement la pièce de Pasolini, Porcherie. La parole y est omniprésente, l’action, fort limitée. Dans l’épisode du Moyen-Âge, presque complètement muet, l’action y est primordiale, un monde archaïque s’y déployant, Pierre Clémenti y incarnant un personnage se livrant à l’anthropophagie. C’est par le biais de cette seconde partie que le film est essentiellement cinématographique, mettant en scène un monde de corps, quand l’épisode contemporain indiquerait plutôt la disparition / homologation des corps. D’un côté, on n’a presque rien à entendre, et tout à voir, et de l’autre côté, tout à entendre et presque rien à voir.

Or, si le film peut scandaliser, c’est bien à travers l’écho qu’entretiennent entre elles les deux parties du film : d’un côté un homme dévorant d’autres hommes, d’un autre côté, un homme dévoré par des porcs. Et tous deux en tremblent de joie. Le cinéma est ainsi capable de mettre en image la transgression, en recréant un monde disparu, quand la partie la moins cinématographique, la plus théâtrale du film ne peut que que dire la dévoration de Julien par les porcs, et la passion secrète celui-ci pour ces animaux.

C’est donc dans la partie moyen-âgeuse du film qu’on se trouve face à un univers qu’on pourrait dire « du geste et du cri » – des corps se déplacent, se battent, des cris sont émis, des halètements, des pleurs, des lamentations inarticulées, de la musique à un moment, mais aucune parole jusque vers la fin du film. Lorsque l’acte d’accusation à l’encontre des personnages incarnés par Pierre Clémenti et Franco Citti sera lu, la voix sera rendue inaudible par le son des cloches. Il n’y a qu’au moment précédant son exécution que le personnage incarné par Pierre Clémenti s’exprime en paroles, en répétant à quatre reprises les mots : « J’ai tué mon père, j’ai mangé de la chair humaine, et je tremble de joie ». Un lien explicite est ainsi effectué entre les deux parties du film – quand, en retour, le père de Julien demandera de garder le silence aux témoins de l’événement ayant vu son fils être dévoré par les cochons. La nature de ce silence est alors bien différente, cet ancien dignitaire nazi recommandant de ne rien dire de cette dévoration dont rien de Julien ne demeure, afin qu’il ne reste nulle trace de ce carnage – comme les nazis faisaient disparaître toutes les traces de leurs crimes. Là où le silence faisait revenir des corps et des cris, sur les pentes de l’Etna, le silence à venir concernant la disparition de Julien sera bien plutôt une simple suspension de la parole, un silence dans lequel dispaissent, totalement, sans restes, les corps.

1 Pier Paolo Pasolini, Manifeste pour un nouveau théâtre, trad. Marie Fabre, Paris, Ypsilon Éditeur, 2019 pour la traduction française.

2 Pier Paolo Pasolini, L’expérience hérétique, trad. Anna Rocchi Pullberg, Paris, Payot, 1976.

3 Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, La Fabrique, 2008.

4 Pier Paolo Pasolini, cité in Giuseppe Pera, Pier Paolo Pasolini, l’intellectuel : critique littéraire et écrits politiques (1940-1960), Villeneuve d’Asq, Presses universitaires du Septentrion, 2006, p.39 (traduction un peu modifiée par l’auteur, relativement à celle de ce passage dans l’édition française de L’expérience hérétique, op. cit.).

5 René de Ceccatty, Pier Paolo Pasolini. Biographie, Paris, Gallimard, 2005, p.54.

6 Pierre Katuszewski, Le théâtre de Pier Paolo Pasolini, Lausanne, Ides et Calendes, p.14.

7 Pier Paolo Pasolini, Manifeste pour un nouveau théâtre, op. cit., p.19.

8 Ibid., p.11.

9 Ibid., p.17.

10 Ibid., p.16.

11 Ibid., p.17.

12 Pier Paolo Pasolini, Contre la télévision et autres textes sur la politique et la société, trad. Caroline Michel et Hervé Joubert-Laurencin, Besançon, Les solitaires intempstifs, 2003, p.37.

13 Pier Paolo Pasolini, Manifeste pour un nouveau théâtre, op. cit., p.10.

14 Ibid., p.17.

15 Ibid., p.11.

16 Ibid., p.11-12.

17 Ibid., p.12.

18 Ibid., p.28.

19 Ibid.

20 Ibid., p.29.

21 Ibid.

22 Ibid., p.18.

23 Ibid., p.24.

24 Stéphanette Vendeville, Le Living Théâtre. De la toile à la scène, 1945-1985, Paris, L’Harmattan, 2007, p.168-169. Le passage cité est de Judith Malina.

25 Pier Paolo Pasolini, Manifeste pour un nouveau théâtre, op. cit., p.7.

26 Ibid., p.6.

27 Ibid., p.7-8.

28 Ibid., p.14.

29 Ibid.

30 Ibid., p.15.

31 Ibid., p.19.

32 Ibid., p.20.

33 Ibid., p.19-20.

34 Ibid., p.20.

35 Ibid.

36 Ibid., p.9.

37 Ibid., p.25-26.

38 Ibid., p.26.

39 Ibid., p.30.

40 Ibid., p.7.

41 Pier Paolo Pasolini, Manifeste pour un nouveau théâtre, op. cit., p.31.

42 Stanislas Nordey, cité in Pierre Katuszewski, Le théâtre de Pier Paolo Pasolini, op. cit., p.101-102.

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