Texte de l’intervention de Jose Ignacio Benito Climent (28/01/2017)


 

DE LA MACHINE DE GUERRE DELEUZIENNE À LA FIGURE DU GUERRIER TECHNOLOGIQUE CONTEMPORAIN.

L’underground de l’éthique du hacker

Rébellion dans les réseaux.

 

                                                                                              José Ignacio Benito Climent

 

«En ces temps de tromperie, dire la vérité devient un acte révolutionnaire.»

Wikileaks

 

«Vous parlez de la paix et en même temps vous vous préparez pour la guerre.»

Midnight Oiol, Blosson and blood1

 

 

Dans cette époque où l’ajout d’un préfixe fait exister et d’autres fois, il fait nier des réalités ou des heccéités (toute une journée avec ses petits plaisirs et ses malaises) comme dirait Deleuze.

Je tiens à vous remercier tous pour le fait d’être ici, dans le sens heideggérien du terme ainsi que par le fait d’être aussi dans l’au- dehors dont parlait Maurice Blanchot, avec qui j’ai discuté quand nous dénoncions dans la rue la situation actuelle de déclin du statut de la philosophie, en actualisant le présent comme nous disait Foucault, parce que la philosophie est aussi dans la rue selon la thèse neuf de Feuberbach: «Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde; ce qui importe c’est de le transformer.»2

Je vais commencer par une question prétentieuse et foucaldienne: le monde actuel, est-il deleuzien? Foucault a dit qu’«un jour, peut-être, le siècle sera deleuzien». Je serais tout à fait d’accord avec cette affirmation de Foucault, mais ce siècle deleuzien dont parlait Foucault sera-t-il le XXI siècle? Face à cette question, à la fois vague et insignifiante par son excès de généralisation, nous allons étudier quelles sont les structures, les concepts ou les percepts (voir L’abécédaire de Gilles Deleuze) qui sont encore en vigueur chez Deleuze ainsi que ceux qui sont devenus obsolètes. Même si, généralement, ce sont les concepts philosophiques et politiques qui nous intéressent, ainsi que le versant clinique3, dans ce texte nous allons aborder le versant géopolitique de Mille plateaux plutôt que le versant clinique de L’Anti-Œdipe ou Critique et clinique. Chez Deleuze, pour mieux comprendre son œuvre, nous ne pouvons pas séparer la cartographie psychologique, dans le pur style d’Élisée Reclus (Géographie au service de la vie), de la politique, c’est-à-dire que la psychologie des peuples modifie même leurs paysages. Nous parlerions donc d’une psycho-écologie et chez Deleuze des agencements sociaux dans les formes de vie, comme des heccéités de la pensée nomade. Ou, comme dans le domaine de la littérature de l’espace, on parlerait de psychologie, par exemple chez Houellebecq dans son livre La carte et le territoire et dans la littérature de Georges Pérec avec son idée des espèces d’espaces. Sans oublier la clinique deleuzienne pour comprendre la dérive du fascisme capitaliste par le fait de la réappropriation d’une machine de guerre. De nos jours le Capitalisme global ou la globalisation et la réappropriation d’une machine de guerre de fonctionnaires de l’État, informaticiens et ingénieurs, ainsi que d’autres métiers réappropriés par un phylum machinique, configurent la guerre à travers d’autres moyens (thèse de Carl Von Clausewitz ). Et nous savons bien que ce type de développement technologique, c’est la machine Internet. Selon Gilles Deleuze, on doit comprendre la machine de guerre sous l’optique d’un vitalisme technologique, c’est-à-dire en considérant l’évolution des nouveaux outils ou nouvelles technologies comme des machines de guerre et pour la guerre. Il faudrait penser plutôt à une sorte de guerre psychologique au niveau mondial. Peut-être, vous vous dites qu’il s’agit d’une hypothèse de conspiration et de paranoïa, cependant vous allez remarquer que les présages de l’auteur auxquels on a accordé peu d’attention, en tant qu’analyse sociopolitique marxiste du Capital, commencent à se manifester avec la nouvelle crise.

Je donne en exemple un article que j’ai lu récemment dans Radar qui semble aller dans ce sens et dont l’auteur, le journaliste Osvaldo Baigorria qui publia en 2008 L’anarchisme transhumant4, nous prévient de l’utilisation, de la part de l’armée israélienne, des textes de Deleuze et de Guattari, comme par exemple celui de Mille plateaux, que nous sommes en train d’étudier. Baigorria explique comment, dans les années 50, le général Shimon Naveh, Directeur de l’Operational Theory Resaerch Institute (OTRI) s’est servi des concepts centraux de Deleuze (comme celui du rhizome) pour: « Penser contre la logique binaire qui oppose théorie et pratique, modèle et terrain, usage et fonction dans la finalité d’émanciper l’action militaire de toute sorte de restriction. »

Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Capitalisme et schizophrénie nous expliquent que le Capitalisme est le flux du Capital et de l’information et de la recodification et la réabsorption du potentiel subversif de la foule par le Capitalisme. Sa propriété est qu’il peut se réapproprier tout ce qui, en principe, pourrait sembler subversif et en outre il procède du secret pour subsister. Personne ne peut connaître la formule du Coca-Cola, par exemple, comme disait René Schérer dans son séminaire sur la Géopolitique de l’individu à Paris VIII. La schizophrénie constituerait le reste du capitalisme et l’objet « petit a » lacanien. Un déchet, le corps sans organes, des schizophréniques, les sans voix comme dans la littérature mineure d’Artaud ou Kafka. Actuellement, nous pourrions inclure les expulsés, les chômeurs, les vagabonds, les gays etc. C’est-à-dire, les marginaux, ceux qui ne comptent pas, selon Jacques Rancière.

Deleuze, dans Mille plateaux, décrit dans une première phase, les concepts de stratégie et d’expérience à travers les différents jeux qui décrivent les mentalités orientale et occidentale : les échecs et le Go. Orient et Occident, la réforme de l’état occidental et la machine de guerre orientale.

Si nous analysons l’état actuel de la crise (ou plutôt escroquerie) et les manifestations contre, les manifestants actuels agissent comme de petits goyas qui dessinent la réalité en temps réel à travers leurs caméras iPhone ou smartphone en remplissant le réseau Internet (toile, si nous utilisons le mot français.) d’images réelles. Et comme Goya quand il prouvait sa présence en disant « j’ai été là », ils expliquent leurs photos. Sinon, ils envoient des tweets ou des micro-récits qui utilisent la fragmentation du langage car ils n’énoncent que le signifiant en oubliant le signifié. Il s’agit de demande de signifiants vides de réalité démocratique, comme expliquait Ignacio Laclau dans La Raison populiste5. Tous les effets de la nouvelle machine du pouvoir commencent à donner une sorte de fruits pourris tels que la fragmentation du sujet, sa désubjectivation de la part des instances du pouvoir ou la simple décogitation.

Les interprétations du Sous-commandant Marcos sont un autre exemple plus éloigné dans le temps, mais très proche des dissonances du monde globalisé. Pour lui, la culture des déchets ou des ordures est un a priori de toute cette culture technologique. Et il ne soutiendrait, en aucun cas, que les rébellions actuelles soient un simple effet du nouveau développement technologique. En fait, si nous suivons la pensée deleuzienne de son Traité de nomadologie, la guérilla, les minorités identitaires ou les manifestations des indignés seraient une machine de guerre nomade qui ne se sert pas de la violence mais plutôt de la non-bataille comme nous pouvons l’observer tout au long du texte.

Si Mai 68 voulait changer le système et en finir avec les structures, comme une machine de guerre nomade qui essaie de détruire l’appareil de l’État, la rébellion des indignés, par contre, ne serait pas dans ce sens là nomade puisqu’elle ne cherche qu’à maintenir le système tout en faisant les modifications nécessaires pour garantir l’État- providence et l’extension démocratiques de certaines de ses demandes. Probablement par le fait de pouvoir se déplacer dans un plan strié et sous ses limites, ils ne seraient pas des nomades, même si ceci pourrait en résulter et constituer leur devenir. Il est toutefois clair que l’importance de ce mouvement se baserait sur le fait qu’aucun parti politique ni aucun État voudrait s’approprier leur machine de guerre. Cependant, dans le temps, nous pourrions, peut-être, voir comment certains de ses protagonistes pourraient se transformer en une machine de guerre d’État. Citons comme exemple Daniel Cohn-Bendit qui est passé d’être un leader de mai 68 à devenir le représentant du parti écologiste dans le Parlement européen.

Toute cette thématique nous amène à penser au problème de la réalité virtuelle; si nous faisons une ontologie du virtuel nous pouvons en déduire différents phénomènes tels que l’accotement de la réalité, la sélection de l’information par l’excès de saturation informative et le développement d’une hypersensibilité insurgée qui constitue instantanément une communauté dans le but de créer, tout de suite, par des pétitions, un espace de défense dans la rue ainsi que l’écriture d’une nouvelle grammaire qui répond au développement de la technologie (l’hypertexte et la mort du livre traditionnel). Toutes ces caractéristiques d’hyper modernité nos amènent à croire qu’il existe une transmodernité6, comme propose Rosa María Rodríguez Magda, pour la première fois, dans La sonrisa de Saturno (Le sourire de Saturne), en passant par le modèle de Frankenstein, jusqu’à son livre La transmodernidad (La condition transmoderne) où elle donne la définition du préfixe « trans » : « Le “trans” n’est pas un préfixe miraculeux, ni la marque d’un multiculturalisme angélique, il n’est pas la synthèse de la modernité et de la prémodernité, mais plutôt de la modernité et de la postmodernité. Il constitue, en premier lieu, la description d’une société globalisée, rhizomatique, technologique, gérée depuis le premier monde, confrontée à ses Autres, qui les pénètre et les assume à la fois, et dans un second lieu, l’effort de transcender cette clause prégnante, hyper réelle, relativiste. Comme je l’ai dit en d’autres lieux : « La transmodernité n’est pas une ONG pour le tiers monde, et il est bon que celui-ci le sache le plus tôt possible, de même que nous autres devrions comprendre lucidement qu’il n’est pas non plus une nouvelle utopie technologique et heureuse. C’est le lieu où nous sommes, le lieu où précisément les exclus ne sont pas. C’est dans ces circonstances que nous devrons lutter et nous démener. » (Rodríguez Magda. 2004) »7.

Cette transmodernité serait plus proche du modèle de transhumant qui apparaît chez Deleuze : les citoyens du monde se verraient forcés à quitter les territoires où ils sont enracinés à cause de la globalisation et de la délocalisation de l’emploi. Il s’agirait plutôt de la déterritorialisation de la machine de guerre sous la forme d’un capital intellectuel ou si l’on préfère d’un work intelect (voir Negri et Hardt) ou bien une fuite des cerveaux, une « diaspora de matière grise » comme disent les médias espagnols. C’est ainsi que fonctionne la machine de guerre, elle déterritorialise la foule afin de créer une essence diffuse d’identités (voir Husserl) qui permettrait une sorte de fascisme capitaliste qui conduirait à la lutte des États pour s’emparer des meilleurs scientifiques et poursuivre la guerre cybermilitante et la course aux armements. Les attaques virales entre la Chine et les États-Unis, qui sont constantes, prouveraient bien cette hypothèse. Les virus informatiques qui bloquent, au hasard,  nos ordinateurs peuvent être causés  par les effets des attaques contre des  objectifs militaires de la part de groupes d’extrême droite ou par des machines de guerre au service de l’État qui veulent éteindre toutes les lumières de New York ou arrêter une usine chimique en Iran. En fait, la CIA croit que la guerre actuelle doit être menée à travers Internet plutôt que contre le terrorisme global comme on supposait après le 11 septembre où quiconque pouvait être considéré comme un ennemi ou un terroriste criminel (la consigne tolérance zéro).

Pour illustrer ces cyberguerres, comme celle qui existe entre la Chine et les Etats-Unis, je vous propose une idée qui, dans Mille plateaux, illustre l’axiome II de Deleuze et Guattari : « La machine de guerre est l’invention des nomades (en tant qu’elle est extérieure à l’appareil d’État et distincte de l’institution militaire). À ce titre, la machine de guerre nomade a trois aspects, un aspect spatial-géographique, un aspect arithmétique ou algébrique, un aspect affectif ». Cette idée apparaît dans la Proposition V: « L’existence nomade effectue nécessairement les conditions de la machine de guerre dans l’espace ».

Voici l’idée, je cite: « Il est vrai que ce nouveau nomadisme accompagne une machine de guerre mondiale dont l’organisation déborde les appareils d’État, et passe dans des complexes énergétiques, militaires-industriels, multinationaux » (Deleuze et Gauttari. 2006)8.

La paix globale serait donc une fausse idole du forum, comme dirait Francis Bacon dans sa théorie des idoles, étant donné que nous sommes en guerre mais c’est une guerre qui suit un nouveau paradigme comme nous verrons ensuite, avec les figures subversives d’une machine de guerre cybermilitante et underground contre les structures et institutions des États démocratiques qui naît avec l’underground des étudiants en Australie. Il s’agit d’une guerre qui utilise les machines de guerre étatiques et qui a pour but la déstructuration des communications et des technologies de guerre mais qui ne mobilise pas de soldats en terrain hostile. Et ceci aurait une répercussion dans l’économie de la guerre.

Actuellement, on ne pourrait pas comprendre les révoltes arabes, européennes et des étudiants sans tenir compte de la machine de guerre technologique, comme l’expose Manuel Castell dans son ouvrage Réseaux d’indignation et d’espoir. (Castell 2012).9 Il faut comprendre le concept d’espoir dans le sens de l’utopie d’Ernst Bloch (Bloch 2006).10 Cependant, le mot espoir semblerait, à notre avis, posséder trop de connotations religieuses pour pouvoir expliquer l’utopie. Donc, plutôt que d’espoir, nous préférerions parler de confiance dans la possibilité de construire un autre monde ou un monde meilleur.

Si le guerrier cherche à conjurer l’appareil de l’État, comme l’expose Gilles Deleuze dans son chapitre Traité de nomadologie, la machine de guerre, dans le Problème I : Y a -t-il moyen de conjurer la formation d’un appareil d’État (ou de ses équivalents dans un groupe) ? et dans sa Proposition II : L’extériorité de la machine de guerre est également attestée par l’ethnologie (hommage à la mémoire de Pierre Clastres), de nos jours, ce seraient le guerrier technologique ou les guerriers et les guerrières technologiques (hackers et cybermilitants) ceux qui chercheraient à conjurer l’État et autres institutions gouvernementales et commerciales contre leurs projets non éthiques. En Espagne, Anonymous constitue un magnifique exemple puisque ce sont eux qui ont appuyé, dès le début, le mouvement des indignés espagnols qui luttait contre le canon et pour la liberté de diffusion des œuvres, ainsi que le droit d’accès à la consultation des ouvrages culturels de l’humanité. N’oublions pas la lutte menée par le collectif Copyleft pour instaurer la libre circulation et le libre accès, via Internet, des créations artistiques avec une nouvelle licence technologique: creative commons11.

Nous vivons dans une guerre de captures, comme soutiennent Deleuze et Guattari dans le chapitre 13 intitulé Appareil de captures de leur ouvrage Mille plateaux12 et mon collègue, le sociologue Marc Bernardot, auteur de l’ouvrage Captures13 et un des fondateurs du réseau Terra en France, collectif qui signale les abus de l’état en matière d’immigration ainsi que les guerres actuelles. Pour Bernardot, dans son dernier ouvrage, la Guerre de capture dénonce que les migrants sont traqués, comme des animaux, dans les villes européennes, même les personnes qui, tout en étant originaires du pays, ont des traits différents. Cette recherche sociologique et anthropologique dénonce la création d’entreprises privées de la part d’anciens responsables des ministères de la Sécurité d’État anglais, français, espagnols etc. et qui ont pour but la chasse à l’homme. La proposition de loi espagnole d’interdiction du droit à l’hospitalité (voir René Scherer Zeus hospitalier, Éloge de l’hospitalité14 où l’auteur fait un éloge de l’hospitalité qui remonte au monde grec antique dans lequel, l’hospitalité était une pratique ancestrale d’accueil de la différence) prouve que les États ont intérêt à ce que les migrants ne soient pas protégés pour mieux les traquer et faire des affaires avec leur détention, leur déplacement, leur rapatriement (certaines compagnies aériennes telle qu’Air France y sont impliquées) et les sévices physiques et psychologiques. Au soutien de cette thèse, il ne faut pas oublier l’application en France de la double peine (dont l’homologue pour la protection des droits sur internet serait la loi Hadopi ou la traque à l’internaute) ainsi que l’abolition de l’espace Schengen depuis sa construction en 1985 par l’ancien premier ministre français Sarkozy qui comptait sur l’accord du Président de la République italienne, Berlusconi, avant qu’il ne présente sa démission par toutes les affaires d’abus de pouvoir, de corruption et de promiscuité, dans le plus pur style d’un « capo » de la mafia italienne.

L’ouvrage Mille plateaux et plus concrètement le chapitre que nous abordons dans cet article, Traité de nomadologie, la machine de guerre, montrent que nous devons développer une science nomade qui est différente de la science réelle ou impériale (voir étatique). La science nomade, dont la figure est le nomade, se développe et est développée par la pensée nomade. La pensée nomade requiert un espace lisse et la pensée étatique ou impériale, un espace strié, comme les frontières actuelles à Gaza ou à Ceuta qui constituent des exemples d’attentats très graves contre les droits de l’homme ici et là. La machine de guerre a besoin d’un guerrier. Le paradigme du guerrier technologique contemporain serait, à notre avis, Julian Assange et son défenseur le juge Garzón.

Le nomade n’est pas une race mais une tribu d’une race opprimée. Le nomade fait un trajet et sa vitesse est par intensités. Le nomade n’est pas un nomade par son mouvement continu mais parce qu’il bouge sans se déplacer d’un endroit, c’est le mouvement absolu.

Je cite Deleuze et Guattari : « La vitesse ou le mouvement absolu ne sont pas sans lois, mais ces lois sont celles du nomos, de l’espace lisse qui le déploie, de la machine de guerre qui le peuple. Si les nomades ont formé la machine de guerre c’est en inventant la vitesse absolue en étant “synonyme” de vitesse. Et chaque fois qu’il y a opération contre l’État, indiscipline, émeute, guérilla ou révolution comme acte, on dirait qu’une machine de guerre ressuscite, qu’un nouveau potentiel nomadique apparaît avec reconstitution d’un espace lisse ou d’une manière d’être dans l’espace comme s’il était lisse (…) la réponse de l’Etat est de strier l’espace contre tout ce qui risque de le déborder » (Deleuze et Guattari. 2006)15.

Pour mieux comprendre Deleuze et Guattari, nous nous appuyons sur l’exemple du sahraoui dans le désert du Sahara qui ne quitte jamais le Sahara sauf pour aller un peu plus loin, dans la région occupée par le Maroc et qui est encore le Sahara et quand il protège son territoire, il le fait de ses yeux qui connaissent bien le terrain et de ses propres mouvements. Le sahraoui connaît le désert comme s’il s’agissait de son propre corps ou d’un prolongement. Voilà la pensée de Deleuze et Guattari.

On pourrait établir un parallèle entre la pensée nomade et l’éthique contemporaine du hacker, voilà pourquoi le sous-titre de mon intervention est la rébellion underground de l’éthique du hacker. Cette éthique est anti-autoritaire, écologiste et engagée pour la paix. Nous pensons, et c’est notre proposition la plus originale, que Jullien Assange et Suelette Dreyfus sont l’exemple paradigmatique du guerrier technologique contemporain, leur éthique de hacker underground attaque les structures du pouvoir par le biais de virus et de virus-vers conçus pour se propager et s’étendre à travers les flux et les réseaux des institutions du pouvoir. La NASA, La CIA, la Banque mondiale etc. Toute cette contre-bataille a commencé avec le virus informatique Wank qui a affecté le lancement de la sonde spatiale Galileo vers Jupiter, le 16 octobre 1989.

Jullien Assange et Suelette Dreyfus ont vécu dans cet entourage underground dont s’est nourrie la machine de guerre nomade des cybermilitants. N’oublions pas que le mot Wikileaks16 signifie fuite, goutte à goutte, filtration de l’information et que cette organisation a changé l’image du monde en découvrant la réalité masquée par les informations diplomatiques des prétendus États démocratiques (un câble révèle que Hillary Clinton a demandé à la CIA d’obtenir l’ADN de tous les membres de l’ONU) ou les Vatileaks du Vatican (en fait il semblerait que la démission du Pape Benoît XVI se doit à l’apparition sur Internet de certains câbles d’un ancien directeur de la banque du Vatican). Tout ceci nous amène à penser que l’accusation portée contre Assange pour harcèlement sexuel à des étudiantes pourrait bien s’agir d’une campagne de harcèlement et de destruction de la machine de guerre cybermilitante dans la figure du guerrier contemporain. Le juge Garzón, qui a pris sa défense, en est aussi convaincu. Cependant, l’opinion généralisée, diffusée à travers les médias, associe la figure de l’activiste avec la figure du pervers et pourtant il serait plus adéquat de la rapprocher de la figure de l’outsider puisqu’en fait il ne s’agissait que de jeunes informaticiens freaks. Ce contexte a été, en grande mesure, celui des hackers, des minorités illustrées (dans le sens kantien du terme) qui se connectaient à travers des BBS (système de bulletins électroniques) en se servant d’une technologie très précaire mais avec laquelle ces cerveaux privilégiés pouvaient même avoir accès à la NASA. Ils utilisaient un modem ou un ordinateur qui mettait 45 secondes à se connecter, imaginons ce qu’ils peuvent faire ou pourraient faire, de nos jours, grâce à l’énorme développement de la technologie des réseaux. En fait, ils arrivent même à obtenir les mots de passe des hauts fonctionnaires des institutions les plus représentatives du pouvoir globalisé actuel.

Le mouvement des indignés du 15 mars apparaît comme un autre underground de guerriers diplômés. Les indignés disent que cet underground est un climat, la fin des mythes, un réveil, un espace pour la pensée, un agencement du désir dans le sens le plus deleuzien du terme. Nous avons abordé ce sujet dans un article intitulé Comment les indignés s’organisent-ils?17 

Je vais profiter pour expliquer le terme d’agencement, il n’y a pas de désir qui ne coule dans un agencement. Selon Deleuze, il existe une méthode différentielle pour étudier les agencements: à travers les familles, le phylum machinique et les affections. Un phylum machinique c’est le passage du modèle du forgeron à celui de l’ouvrier agricole (c’est l’exemple le plus important chez Deleuze), le passage des outils aux armes de guerre comme forme des agencements nomades et leur contenu. Comme l’âge du fer et l’ère de l’acier, deux matériaux qui ne produisent ni les mêmes outils ni les mêmes types d’armements. Dans un cas, ce sont les armes du nomade, dans l’autre cas, celles du sédentaire. Deleuze explique les différences entre le nomade, le sédentaire et le troglodyte (le transhumant ou itinérant), ce dernier se situant entre les deux autres.

Dans la dernière partie de son chapitre, Deleuze précise très clairement l’usage du concept machine de guerre qui veut en finir avec l’État, comme les chevaliers soulevés contre le roi et contre la machine de guerre d’État qui est ce roi qui les avait nommés chevaliers pour se réapproprier cette machine de guerre contre l’État ou contre le royaume dans ce cas-ci. Mais, de nos jours, la machine de guerre qui surgit de tous les États serait la machine de guerre mondiale, sous la forme du Capitalisme sauvage. Quand Deleuze analyse la guerre totale, il argumente que celle-ci se développe plutôt à l’intérieur de l’État qu’à l’extérieur, comme soutenait Clausewitz, et il défend la thèse que l’ennemi est aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la polis. La nouvelle machine de guerre mondiale établit de nouveaux rapports sociaux et sur ce point, je crois que nous serons tous d’accord, Deleuze ne s’est absolument pas trompé, Internet est un fait et les réseaux sociaux, qui ont pris la place du contact direct entre les personnes, sont aujourd’hui très présents dans notre vie quotidienne.

Cette machinerie construit de nouvelles lignes de fuite mais aussi de nouvelles lignes de capture. Deleuze finit son chapitre en établissant les différences entre la guerre, la guérilla, la bataille et la non-bataille. Ceci nous aide à définir le cybermilitantisme ou l’éthique du hacker comme une non-bataille de guérillas, qui est déjà une rébellion et il se peut aussi qu’elle soit une révolution puisqu’elle bouleverse les principes de la culture de l’information et du manque de transparence face à la corruption et aux abus de pouvoir. Si on s’imaginait déjà le pire sur les États démocratiques, ces câbles montrent le danger que nous courrons par le fait de baser nos vies sur des récits fictifs, s’appuyant sur les sophismes que l’on veut nous faire croire, au lieu de créer de nouveaux paradigmes sociaux contraires aux paradigmes scientifiques établis par le pouvoir : transparence, justice pour tous, fin de la corruption, fin de la persécution d’êtres humains, donation en paiement à la banque du logement, RMI, etc. Le fait de continuer à croire aux fondements de l’État, bien que les abus de pouvoir soient évidents, peut nous conduire à l’ignominie la plus absolue quand on découvre l’histoire réelle qui se cache sous le voile de l’État.

N’oublions pas, non plus, l’existence de différentes sortes d’éthiques du hacker et même les non-éthiques comme le carding qui frôlent les limites entre la criminalité et l’anarchie. À titre d’exemple, pensons à certains jeunes adolescents hackers qui volent de l’argent aux banques pour acheter des motos dont ils ne se serviront que dans la journée pour les abandonner plus tard. Ces jeunes hackers auraient cette idée en tête : pourquoi on ne peut pas le faire ? moi je l’ai fait.

Je termine ici mon exposé, mais ce sujet peut nous amener à d’autres pistes de réflexion qu’il nous faudrait développer, dans de prochains articles, telles que les différentes éthiques du hacker basées sur les privilèges et la vie privée, l’intimité et la communication entre les hackers. Nous pourrions aussi aborder la fonction éthique ou non éthique des hackers policiers qui s’introduisent sans les réseaux des hackers mais qui ne vont pas jusqu’à dénoncer certaines des démarches effectuées par les hackers et que nous qualifierions de hackers éthiques. Et, bien sûr, il faudrait examiner l’importance des femmes dans le monde des hackers puisqu’elles sont aussi des militantes qui modulent les procès de compétitivité des hackers, ayant accès à l’information d’une manière sociale et intime. Le paradigme des espions pourrait bien être une possibilité de comprendre la configuration des rapports entre les hackers.

Je tiens à remercier l’Association Philomène de Besançon, ainsi que vous tous pour votre attention.

 

  1. Le ver Wank fait référence au groupe de rock australien Midnight Oil.
  2. En allemand: Die Philosophen haben die Welt nur verschieden interpretiert; es kömmt drauf an, sie zu verändern.
  3. Dosse, F., Deleuze, G. et Guattari, F. (2007-2009). Biographie croissée. Paris: La Découverte.
  4. Baigorria, O. (2008). El anarquismo transhumante. Buenos Aires: Libros de Anarres.
  5. Laclau, E. (2005). La razón populista. Traduction Laclau, S. Buenos Aires: FCE.
  6. http://transmodernitat.blogspot.com.es/
  7. Rodríguez Magda, R.M. (2004). Transmodernidad. Valencia: Anthropos.
  8. Deleuze, G. et Guattari, F. (2006). Mil mesetas. Capitalismo y esquizofrenia. Valencia: Pretextos.
  9. Castells, M. (2012). Redes de indignación y esperanza. Los movimientos sociales en la era de Internet. Trad. Hernández, M. Madrid: Alianza.
  10. Bloch, E. (2006). El principio de la esperanza. Madrid: Trotta
  11. http://es.creativecommons.org/blog/licencias/
  12. Deleuze, G. et Guattari, F. (2006). Aparato de capturas. Chapitre 13. In. Mil mesetas. Valencia: Pretextos.
  13. Bernardot, M. (2012). Captures. Éditions du croquant. Kritikos.
  14. Schérer, R. (2005). Zeus hospitalier. Éloge de l’hospitalité. Collection la Petite vermillon, La Table Ronde.
  15. Deleuze, G. et Guattari, F. (2006). Mil mesetas. Chapitre Tratado de nomadología. La máquina de guerra. Valencia: Pretextos.
  16. http://spanishwikileaks.wordpress.com/
  17. http://madrid.15m.cc/p/documental.html

 

 

 

 

 

 

 

 

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