Texte de l’intervention d’Anne Querrien (21/05/2022)


Quelques réflexions psycho, lacano, schizo,analytiques sur la paranoïa

Anne Querrien

Marco Candore m’avait demandé de réfléchir pour cette session sur la paranoïa dont on s’accuse les uns les autres tout le temps à l’heure actuelle pour se bloquer. La paranoïa au lieu d’être un mal peut elle être créative, l’accusation retournée vers de nouvelles bifurcations ?

La paranoïa, ou pensée à côté de la plaque, est née en Allemagne en 1777 et en France en 1822. D’après Lacan 80% des personnes hospitalisées en psychiatrie au XIX siècle étaient accusées d’être paranoïaques, alors qu’avant on les trouvait mélancoliques ou maniaques. Ce qui caractérise le paranoïaque c’est le délire de persécution, mais pas dans le cas de Dali qui a toujours pris le parti de faire le contraire de ce qu’il fallait faire, et s’en est très bien trouvé.

La fausse croyance au départ de la paranoïa

Aimée, la femme dont Lacan a étudié le délire, a mis fin à celui-ci trois semaines après avoir été arrêtée pour avoir porté un coup de couteau à l’actrice de théâtre dont elle pensait qu’elle la persécutait, alors qu’elle s’efforçait de l’imiter sans y arriver.

Le paranoïaque est quelqu’un qui s’estime traité de manière inférieure aux autres, ou différente, à partir de croyances fausses relatives à l’identité sexuelle. C’est ainsi que je croyais enfant que les femmes étaient blondes aux yeux bleus, comme ma mère et comme les couvertures de Elle. Je ne pouvais pas être une vraie femme par conséquent. La croyance fausse, renforcée par la perception sélective de l’environnement, s’enchainent pour produire petit à petit le délire et les conduites paranoïaques.

La thèse de Lacan sur la psychose paranoïaque

La thèse de Lacan sur la psychose paranoïaque doit être importante puisque c’est l’un des deux livres que Tosquelles a emporté en exil. La thèse est soutenue par Lacan en 1932 quand il travaille à l’Infirmerie de la préfecture de police où on amène les gens qui troublent l’ordre public. On y fait un diagnostic, puis la personne est emmenée pour être soignée ailleurs ou redirigée vers la prison si elle ne semble pas relever de la psychiatrie. D’après mes amis psychiatres Lacan n‘a jamais soigné de paranoïaque ou de psychotique, ni étudié la transformation du délire par le soin psychiatrique. Freud de même, ils se sont intéressés aux délires des paranoïaques. Ils les ont trouvés intéressants, et ont dit qu’il faudrait savoir les accueillir au lieu de les réprimer. Ils ont aussi insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas de troubles organiques, mais de troubles de la personnalité et du langage.

La paranoïa d’après tous ces lecteurs est un délire de gens déçus de leur vie, dont certains deviennent paranoïaques pour compenser cette déception par un délire de grandeur et de revendication de plus grande capacité.

Structure de la personnalité ou crise réactive ?

Lacan dit qu’il s’agit un trouble de la personnalité, qui serait donc constitutionnellement comme dans la tradition française, alors que pour les allemands les troubles paranoïaques sont des crises temporaires, des réactions affectives vitales à des menaces objectives.

Les croyances fausses qui s’engrainent dans la paranoïa conduisent à des troubles de négation de la réalité. Il y a beaucoup de paranoïa chez les instituteurs qui ont fait des études longues et n’ont pas une situation sociale suffisante, à la différence de l’image de « hussard de la république ».

La paranoïa peut être soignée tout de même par des mesures de changement de domicile ou de travail, ou par l’enferment. Du moins le symptôme qu’est le délire.

S’intéresser à soi ou à autre chose

Lacan dit que le processus psychotique vient de la rencontre d’éléments hétérogènes par rapport à la personnalité initiale. Le paranoïaque fait des rêves terrifiants et rabat sur soi ses angoisses, au lieu de pousser ses fantasmes à s’articuler à des objets partiels et extérieurs.

Lacan dit naïvement qu’Aimée élevée à la campagne et proche de la nature avait d’autres centres d’intérêt qu’un urbain qui ne pense qu’à soi.

Homosexualité refoulée ou autopunition ?

Freud a estimé que la paranoïa était liée à l’homosexualité refoulée. On trouve un peu ce type d’analyse chez Lacan pour Aimée, très proche de sa soeur. Aimée était dans des contradictions entre sa capacité à lire à la Bibliothèque nationale et ses trois échecs au bac.

Lacan considère que la paranoïa est un système d’autopunition par rapport à l’incapacité à réaliser ses désirs. Aimée a écrit deux romans refusés, qu’elle a envoyé au Prince de Galles.

La personnalité paranoïaque de Rousseau

Lacan fait un parallèle entre Aimée et Jean Jacques Rousseau, soumis à des contradictoires entre ses aspirations et ses conduites réelles, qui fait démarrer ses perversions dans l’enfance. Le génie de Rousseau vient des traits anormaux de son caractère : sa sensibilité, sa puissance de travail. Mais on n’a pas de renseignements suffisants pour dire s’il s’agit vraiment d’une psychose.

La paranoïa critique de Dali

Dali explique que sa méthode pour produire ses œuvres c’est la paranoïa critique, faite de la production d’une structure de ses obsessions, qui enchaine les images, pendant que le côté critique stabilise les images et arrête leur prolifération. La première œuvre ainsi conçue est la métamorphose de Narcisse. Il part de dessins relativement classiques et fait dériver la pensée avec le paysage. Il se met dans un état mental qui pousse à l’automatisme. Il a découvert Freud en 1922 ; il a été le scénariste du Chien andalou de Bunuel, film dans lequel il est hanté par l’angoisse de morcellement caractéristique de la schizophrénie plus que de la paranoïa. Sa stabilisation productive s’est faite grâce à la rencontre de Gala, ancienne femme d’Eluard, en 1928. Dans ses œuvres suivantes il analyse le mécanisme de sa production par la paranoïa critique. Il répond ainsi à notre question sur le caractère productif de la paranoïa.

La paranoïa reterritorialise

Dans l’Antioedipe il est affirmé aussi que la paranoïa et la schizophrénie sont les deux faces d’un même processus désirant machinique. Mais dans la paranoïa il y a reflux des flux désirants des territoires existentiels vers les flux désirants, reterritorialisation, alors que la schizophrénie fait aller les flux vers toujours plus de déterritorialisation , et vers la constitution d’univers incorporels collectifs à partir des territoires existentiels. Schreber délire sur le fait que l’Allemagne est menacée par les Juifs, les Catholiques, les Slaves. Schreber délire qu’il devient femme, et que cette femme est l’Alsace Lorraine. Son désir est parano, reterritorialisé, mais non fasciste, ne porte pas de désir de mort sur les autres. Il y a chez Schreber un grouillement d’éléments moléculaires qui rendent possibles une dérivation vers la schizophrénie. En fait l’analyse ne relève toujours qu’un trait principal, et pas le pullulement d’autres petits organismes moins importants. La machine paranoïaque qui l’a emporté dans son cas, repoussent d’autres machines désirantes. Le devenir-femme ou l’incertitude de l’identité sexuelle sont présentes dans beaucoup de cas de paranoÏa et de schizophrénie.

Pour des espaces de parole hors représentation

Dans La révolution moléculaire Guattari énonce que la jouissance ne peut pas être révolutionnaire, alors que le désir révolutionnaire fait jouir. La révolution moléculaire demande d’agir contre tous les pouvoirs. Il y a coupure entre le désir des masses et la représentation, alors que le communisme officiel a accepté la représentation politique qui constitue l’Etat en tiers transcendant. Il y a une multiplicité d’objets partiels qui peuvent faire l’objet d’un investissement de désir, au lieu du binarisme porté par la lutte des classes. Il faut des lieux dans lesquels puissent s’exprimer les gens hors sujet, hors représentation. Les machines totalitaires capturent les désirs des masses, pratiquent la transversalité de toutes les structures organisées. Les machines modernes créent une miniaturisation de la subjectivation, qui se fait à la fois dans les corps et par le langage. D’après Guattari, Hitler était une concaténation de toutes les séries, mais excitait trop les masses et n’était pas supportable par la bourgeoisie qui a décidé de le liquider. La déterritorialisation peut être un facteur de fascisation de la société, par la constitution d’ensembles économiques et langagiers homogènes, contre lesquels il faut organiser une dispersion du fascisme.

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