Texte de l’intervention de Thierry Brugvin (21/05/2022)


QUELLES SONT LES DIFFÉRENCES DE MÉTHODES

ENTRE LES THÉORICIENS DU COMPLOT

ET LES SCIENCES SOCIALES ?

Ce texte est issu majoritairement de l’ouvrage de Thierry Brugvin

Qui dirige le monde ? La finance, l’idéologie, la psychologie… ? Ed. Libre et Solidaire, 2019

Or, les théories du complot favorisent l’esprit critique, même si elles sont souvent en partie erronées. Elles proposent tellement de versions différentes d’un fait, d’un événement, qu’il faudrait être sot pour adhérer intellectuellement à une seule version. Or, le sociologue Gérald Bronner critique les théoriciens du complot. Il réduit la volonté de connaissance et de démocratie par la recherche d’information à un besoin de toute puissance !

Finalement les théories du complot, si elles ne disent pas forcément la vérité, mais elles poussent au moins vers l’esprit critique et évitent une vision unilatérale de la réalité. Chomsky rappel à juste titre qu’il est tout aussi faux de dire que tout est explicable par les théories du complot, que de dire qu’il n’y en a aucune.

Il est donc plus confortable et sécure d’affirmer que les théories du complot sont fausses tout simplement. Alors, qu’une vision unique de la réalité est fausse elle aussi.

La meilleure preuve est que les plus grands scientifiques se disputent eux-mêmes entre les théories. En économie politique, il y a les libéraux, contre les marxistes, les réalistes, etc. En physique les théories newtoniennes, celles de la relativité, de la physique quantique, etc. Les théories marxistes ou celle de la physique quantique, compte tenu qu’elles sont minoritaires pourraient ainsi être qualifiée de théorie du complot si elles apparaissaient actuellement.

D’ailleurs une action illégale avant qu’elle passe à la télévision est généralement considérée comme une théorie du complot et ensuite un fait journalistique. Aussi, comment les biens pensants différencient ils les journalistes d’investigations des théoriciens du complots. De même que les théoriciens sociologues, économistes des théoriciens du complot. Pour le faire, il ne suffit pas d’affirmer, il faut le prouver et cela est nettement plus difficile !

Qu’est ce qui différencie un complotistes d’un paranoïaque ou d’un néofasciste ?

  • Un paranoïaque délire. La paranoïa imagine des complots inexistants.

  • Néofasciste peut être complotiste ou non

  • Le complotiste peut être néofasciste ou non

  • Le complotiste peut être paranoïaque ou non

  • Il faut donc éviter la pensée par amalgame !

    • = Complotisme= révisionniste= antisémite= fasciste

  • Le terme complotiste se révèle un anathème utilisé pour faire taire son adversaire en le disqualfiant.

Comment différencier le vrai du faux, un fake d’une vérité scientifique ?

Pour être reconnu comme réel par l’opinion publique, on peut distinguer plusieurs niveaux dans la reconnaissance d’un fait :

– par l’opinion publique, qui vont de la rumeur énoncée par un individu,

– à des faits reconnus par les scientifiques, mais aussi les tribunaux et les médias.

L’objectivité de l’information est toujours plus ou moins relative et sa réception dépend du camp des lecteurs. Depuis l’élection de Donald Trump, comme président des États-Unis en 2017, un nouveau terme est apparu : les « fakes news », qui est venue complétée un autre terme, les théories du complot.

Il y a deux grandes catégories d’auteurs susceptibles d’exprimer ou de transmettre une information, les dominants et les opposants (parfois en plus dominés). Ainsi, d’un côté, il y a les acteurs dominants (élus des partis majoritaires, dirigeants de transnationales…), les médias dominants et officiels. Tandis que de l’autre, il y a les opposants en groupuscules (ou individus) minoritaires et/ou les médias d’opposition dans le même pays, ou dans un autre pays (dans lesquels ils sont cette fois les médias dominants et officiels.

La réception d’une information varie donc en fonction du camp du récepteur et du statut de l’émetteur, c’est à dire s’il est faible ou bien puissant (tel Russia Today, une chaine d’information internationale créer par le gouvernement Russe de Vladimir Poutine et qui diffuse notamment en France).

En fonction, du statut de l’émetteur, l’information sera considérée comme vrai ou fausse. Il y a alors deux types de fausses informations : l’information volontairement faussée (la fake news) et l’information involontairement fausse par erreur. Si cette dernière, ne remet pas en cause le paradigme explicatif dominant (qui est aussi celui des dominants), la fausse information est simplement considérée comme une erreur. Sinon elle sera généralement qualifiée de théorie du complot, si elle provient d’un individu ou un groupe minoritaire. Par contre, si l’information est considérée par les opposants, comme fausse, mais qu’elle est formulée par un dirigeant politique puissant, mais tel Trump ou Poutine on la qualifiera de Fake News. Si elle est formulée par un individu ou un groupe plus fragile, on la qualifiera plutôt de théorie du complot. Cependant, parmi ces dernières, il y les fausses théories du complot créées volontairement et les vraies théories du complot, de complot ayant réellement existée.

Edwy Plenel, le dirigeant-fondateur de Médiapart a fait publier dans ce média, des articles sur les élites illégales (tel le ministre Cahuzac et ses comptes dans les paradis fiscaux) rédigées par son équipe de journalistes d’investigation (Fabrice Arfi, Karl Laske…). Au début, ces informations étaient considérées comme des fakes news, voire des théories du complot, par les médias dominants et les pouvoirs en place. Puis après avoir été confirmée par les tribunaux, elles alors été considérées comme des vraies informations.

Edwy Plenel expliquait durant le journal de France Inter en mars 2017 durant le 7/9, qu’il observe donc trois dangers actuellement, les théories du complot par des minorités, les fakes news des dominants, mais aussi la « mésinformation », tels les mensonges par omission des médias dominants. En effet, les journalistes de ces médias sont dominées par leur propriétaire et ne s’attaquent donc quasiment jamais à eux. Par exemple le Figaro sous la propriété de Dassault, le marchand d’armes, ou Canal Plus, propriétaire de Bolloré depuis 2014…

Parallèlement, à la mésinformation, il y a la désinformation et l’absence d’information. Les armées et les militaires usent de stratégies et de tactiques relevant presque systématiquement du secret, d’une entente cachée entre individus, afin de parvenir à leur fin, c’est à dire de la méthode du complot1. Nous définirons un complot comme une action menée secrètement par un ou plusieurs individus à des fins privilégiant leurs intérêts sur ceux des autres. C’est donc assez proche de la définition de la manipulation. A la différence de la pédagogie, qui suppose de ne pas toujours expliquer par exemple aux enfants éduquées, toutes les stratégies cachées du pédagogue, mais cette fois ce sera au service des enfants. Les militaires usent du secret, tout bonnement parce que s’ils prévenaient leurs adversaires de leurs intentions, cela les conduirait la plupart du temps à l’échec..

Ce n’est pas pour rien qu’on nomme l’armée la « grande muette. » La culture du secret s’avère d’ailleurs un des principes fondamentaux des services secrets, comme leur nom l’indique

Ces derniers appartiennent au corps de l’armée. Les ententes cachées (les complots) se pratiquent donc logiquement et majoritairement au plan militaire, mais aussi parfois en politique et en économie, comme le prouve les grands procès concernant des pratiques illégales d’entreprises ou d’individus dans le cadre d’ententes cachées, tels ceux de l’affaire Elf, de l’affaire Cahuzac…. Cependant, vouloir tout expliquer ou du moins l’essentiel de la direction du pouvoir national et mondial, par des complots relève par contre, de la théorie du complot. On ne peut donc tout expliquer par le complot, comme on ne peut affirmer qu’il n’y en existe jamais. Tout est donc une question de mesure, mais dans ce domaine, il semble qu’il soit difficile de rester mesuré et équilibré et de faire preuve de discernement.

Pour parvenir à l’objectivité de l’analyse, il faut multiplier les points de vue.

De même lorsqu’un journaliste ou un scientifique s’avère réellement indépendant, l’objectivité absolue relative à la description des faits est impossible à atteindre, car elle ne relève pas d’une vérité absolue, mais se limite en réalité à une vérité relative, c’est à dire à une objectivité relative. En effet, la description d’une situation, d’un fait, l’action d’informer ne s’avère jamais complètement objective, jamais une vérité absolue, puisque que généralement une situation est décrite d’un point de vue unidirectionnelle, telle un journaliste qui immortalise une scène avec un appareil photo. L’image sera donc prise soit du côté, soit de face, du haut ou d’en bas… A chaque fois, l’image et plus encore le texte représentent volontairement ou non, un angle de vue spécifique et non de tous les angles de vue. Donc il n’y a pas une scène photographiée simultanément de tous les points de vue. Une description qui serait qualifiée de vérité absolue, supposerait donc une description d’absolument tous les points de vue. Ce qui est impossible, puisqu’ils sont infinis. Par conséquent, la méthode visant à se rapprocher le plus possible d’une expression objective consiste non pas à décrire seulement les faits, mais à les présenter sous les différents angles d’observation et surtout à exprimer les différents angles d’interprétations des faits (le point de vue des libéraux, des communistes, des écologistes, des constructivistes…).

Le gouvernement démocratique ou autoritaire dépend aussi de la méthode de formulation de “la vérité” et pas seulement des procédures. En fonction de la fonction et de la nature de ceux qui formulent « la vérité », elle varie dans ces méthodes d’appréhension, dans sa forme, dans son fond et dans sa légitimité. Elle diffère donc selon que les acteurs sont des experts des idées (telle que les philosophes, les politiques, les théologiens…), des scientifiques, ou des journalistes, des militants, etc. La formulation de « la vérité », qu’elle soit générale, spécifique, ou encore si elle est liée à une situation précise, sera différente, si ce sont les experts, les scientifiques ou la majorité du peuple, qui la formule et la décide. Lorsque c’est le peuple, qui en décide, il peut user d’un référendum dans le cadre d’un vote démocratique, qui devient en quelque sorte la vérité majoritaire, fondée sur la légitimité majoritaire et non la légitimité des experts. Enfin, chaque individu étant unique, il vit sa singularité et donc il perçoit subjectivement « Sa vérité. »

Ainsi, les différentes façons de gouverner selon qu’elle est plutôt par les experts ou par le peuple génèrent différents processus de formulation de la vérité, donc différente vérité majoritaire et donc différente vision du monde et de la réalité. La formulation de la vérité se conjugue avec la décision de ce qu’est la vérité et l’application de cette vérité, c’est à dire la régulation (la décision de décider et d’appliquer une règle), la décision politique. La forme que prend la gouvernance a des conséquences sur la construction de la connaissance, de « la vérité » et réciproquement.

Pour être reconnu comme réel par l’opinion publique, un fait doit combiner plusieurs critères. Mais tout d’abord, il faut distinguer différents niveaux de vérité : absolue, scientifique ou d’opinion, puis il y existe des niveaux de reconnaissance de chacune de ces vérités. La vérité scientifique se rapproche plus de la vérité absolue, que la vérité de l’opinion publique et individuelle, mais n’est pas une vérité absolue, elle est seulement une vérité relative, la scientificité absolue n’existe pas. Quant à la vérité absolue, elle est supérieure à la vérité scientifique, qui n’est qu’une vérité relative définit par une méthodologie dans un cadre épistémologique en perfectionnement perpétuel, donc non aboutie et donc imparfait par rapport à la science du futur.

Que la vérité soit scientifique ou une vérité d’opinion, il existe plusieurs critères qui régissent la reconnaissance de cette vérité. Si un témoin inconnu avait parlé par exemple du rôle du ministre Alain Dumas dans l’affaire Elf, avant le procès, peu l’auraient cru. Ce lanceur d’alerte aurait alors été accusé d’être un théoricien du complot. Certains délits réalisés par de la classe des élites économiques ou politiques ne sont pas parfois pas considérés comme de l’ordre du possible, même lorsqu’ils sont effectifs. Concernant un fait, telle une expérience physique ou biologique nouvelle, ou bien un délit d’un haut dirigeant politique ou économique, certains scientifiques estiment que pour qu’il soit reconnu comme étant réel, il suffit que la communauté scientifique l’ait reconnu en s’appuyant sur la méthodologie scientifique en vigueur. Or, généralement, c’est loin d’être suffisant. En effet, on peut considérer, qu’il y a plusieurs niveaux de preuve ou de reconnaissance des faits. Au-delà de la preuve, il y a les pesanteurs idéologiques et la difficulté de leur remise en cause pour les individus. On peut distinguer plusieurs niveaux dans la reconnaissance d’un fait par l’opinion publique que nous classerons de la plus moins forte reconnaissance à la plus forte :

– Une rumeur fondée sur un fait réel (mais, dont les acteurs et les témoins sont introuvables)

– Un témoignage indirect d’un fait réel

– Un témoignage direct d’un fait réel

– Les faits réels, dont on peut disposer de preuves concrètes dans un ouvrage non scientifique, tel un essai

– Les faits reconnus par un scientifique isolé

– Les faits reconnus par la majorité de la communauté scientifique

– Les faits reconnus par des sanctions infligées par les tribunaux

– Les faits reconnus par l’opinion publique grâce aux médias dominants (même s’ils sont sans preuve scientifique)

– Les faits reconnus par les scientifiques, les tribunaux et les médias.

Ainsi le niveau maximum de reconnaissance d’un fait (délictueux notamment), suppose l’addition de plusieurs de ces critères. Le mode de gouvernance exercée par la classe des élites prend différentes formes actions illégales ou adémocratiques, tel que la corruption des dirigeants politiques, organisation de scrutins truqués, etc. Les différents procès et affaires les concernant mettent ces pratiques en lumière et une analyse scientifique des critères quantitatif et qualitatif, intentionnalité, centralité, système, etc. permet de mieux en saisir l’étendue. Néanmoins, l’émergence dans l’opinion publique prend des chemins variés, qui dépendent notamment des médias et pas seulement d’une approche scientifique.

Quelles sont Les différences de méthodes entre scientifiques et complotistes

  • Les scientifiques et les économistes marxistes sont eux aussi parfois accusés de complotisme lorsqu’ils dénoncent l’exploitation et la domination cachée des classes populaires.

  • Les économistes marxistes expriment en réalité de faits sociaux non exprimés par certains médias et politiciens de droite.

  • Les marxistes révèlent simplement que c’est essentiellement l’économie et les structures du capitalisme, qui déterminent l’évolution du monde actuel et non les individus, tels les élites capitalistes et politiques.

  • Les théoriciens du complot pensent l’inverse.

Les scientifiques sont limités dans leur analyse de l’illégalité

Interrogeons-nous sur la méthodologie des chercheurs dans le domaine de l’illégalité ou des stratégies licites, mais cachées des élites.

Qu’elle est l’étendue et l’influence des pouvoirs illégaux ? C’est une des questions que se pose Pierre Lascoumes et Carla Nagels dans leur ouvrage « Sociologie des élites délinquantes : De la criminalité en col blanc à la corruption politique.2 » En effet, il est difficile de parvenir à évaluer de manière quantitative le nombre de leur délit et encore plus leur impact sur la société. Comparons l’analyse scientifique du pouvoir des élites avec la méthode des théoriciens du complot. En France, les affaires judiciaires et les grands procès impliquant des élites économiques ou politiques s’égrènent régulièrement depuis des décennies : l’affaire Sarkozy/Kadhafi, l’affaire Woerth/Bettencourt, l’affaire Cahuzac, l’affaire de Karachi (Balladur/Sarkozy), l’affaire de l’Angolagate (Falcone/Pasqua/Jean Christophe Mitterrand), l’affaire Elf (Dumas/Le Floch Prigent), l’affaire des frégates de Taiwan (Thomson Mitterrand, Balladur), le financement des partis politiques d’Ile de France (Chirac, RPR, PS…), etc. Cette régularité des grands procès judiciaires dans notre pays, mais aussi dans le monde, montre que c’est bien un système politico-économique, qui est en cause et pas seulement des personnes. Certaines de ces affaires parviennent à faire l’objet de procès et de pénalités, d’autres sont rapidement écartées par les pouvoirs en place.

Avant d’analyser scientifiquement le pouvoir des élites interrogeons-nous sur les différentes manières d’analyser le pouvoir des élites, afin de montrer les différences avec l’approche des théories du complot. Quels sont les différences et les points communs, entre la théorie du complot, l’économie marxiste, la science politique néo-réaliste et la sociologie des élites ? Cette dernière porte sur l’analyse, des buts, des moyens et la nature du pouvoir dominant (économique ou politique), sur l’analyse des individus (telles les classes des élites) ou des structures sociétales du pouvoir, des relations entre liberté ou déterminisme, sur l’analyse des faits visibles ou cachés, volontairement ou non.

 Les économistes marxistes considèrent que c’est essentiellement l’économie et les structures du capitalisme, qui déterminent l’évolution du monde actuel et non les individus, tels que les classes dirigeantes capitalistes et politiques. C’est pourquoi ils préfèrent généralement rester à un niveau théorique et ne pas trop s’appuyer sur des exemples, qu’ils considèrent comme des épiphénomènes de l’histoire.

Les politologues des relations internationales, dits « néo-réalistes », tel Krasner (1983) considèrent que le pouvoir dominant relève du pouvoir politique des États, en particulier des institutions internationales. Ils insistent sur le déterminisme des structures étatiques, donc d’une certaine mesure sur le poids des décideurs principaux que sont les classes dirigeantes des pouvoirs publics. Ces derniers représentent, un des aspects de leurs études, cependant, la plupart des sciences sociales négligent l’étude des élites, en dehors de quelques rares chercheurs, tels les sociologues français Pinçot-Charlot, mais n’abordent quasiment pas leurs pratiques illicites. Lorsque c’est exceptionnellement le cas, ce type d’analyses scientifiques, se limite alors, à l’analyse des déviances ne concernant pas les classes des élites, c’est à dire seulement la petite délinquance ou la mafia. Ce qui est nettement moins provocant pour les institutions dominantes.

QUEL SONT LES CRITERES PERMETTANT D’AFFIRMER QU’UN FAIT EST RÉEL

ET NON UN DELIRE COMPLOTISTE ?

COMMENT ÉVALUER L’ETENDUE ET LA GRAVITE

D’UNE ACTION ILLÉGALE ET CACHEE

OU LÉGALE ET CACHÉE OU MECONNUE ?

Est-ce un système structuré ou des actions conjoncturelles ? Dans ce dernier cas, est-ce un des décisions éparses et sans liens entre elles, qui sont le fruit des hasards, de la conjoncture et donc disposant d’une faible force d’orientation des évènements ? Par exemple, concernant les pratiques illégales et adémocratiques dans les relations internationales, si on considère que ce n’est pas inhérent à la mondialisation capitaliste et que c’est simplement une faille, conjoncturelle (aléatoire) ou systématique (structurelle) ?

Il ne s’agit ni d’affirmer que les formes d’illégalité, telle la corruption sévissent partout et tout le temps, ni à l’inverse d’en conclure que nous n’avons affaire qu’à un phénomène marginal. Les dirigeants politiques et économiques, qui observent le système capitaliste, repèrent les erreurs du système, mais ne les corrigent pas toujours, en particulier lorsque les dysfonctionnements (les injustices) les avantagent.

Il existe un système structuré concernant certains aspects de la gouvernance illicite (le mercenariat, la corruption, le détournement des matières premières…). Cependant, cela ne signifie pas pour autant que l’ensemble de la gouvernance globale relève de l’illégalité. Par conséquent on peut considérer que ces actions illicites et adémocratiques sont majoritairement de natures structurelles, mais entretenues volontairement.

Est-ce un système politique adémocratique ou un système économique capitaliste adémocratique ? Bien qu’il existe un système structuré d’actions illégales, ce n’est pas pour autant qu’il s’agît de la structure générale du système capitaliste, mais simplement d’un part de ce dernier, dont la portée dépend des secteurs et des époques, qui s’avère trop souvent négligée par les chercheurs. Jean-François Gayraud dans son ouvrage, « le nouveau capitalisme criminel » considère que la criminalité des élites est bien un système et non simplement des cas isolés3. En effet, le système capitaliste, est avant tout structuré par des rapports sociaux de production fondée sur l’exploitation, la domination et l’aliénation, qui s’exercent grâce à la propriété privée des moyens de production et d’échanges notamment, comme la bien montré Marx. Par conséquent, ce système en soi, n’est pas démocratique et pousse même vers la pratique de l’illégalité, afin de gagner la compétition sans limite. Dans sur livre sur « les paradis fiscaux » Christian Chavagneux affirme que pratiquement toutes les crises financières ont été renforcées par des actions illégales. Par exemple, il explique que le trading à haute fréquence, consistant dans des transactions financières internationales opérées par des ordinateurs toutes les dixièmes de seconde est un procédé si rapide que les humains et en particulier les contrôleurs ne parviennent plus à le suivre. Cela génère de l’opacité et favorise donc les pratiques illicites des banques et des fonds financiers4.

La majorité des actions illicites sont-elles intentionnelles ou involontaires ? C’est à dire s’agit-t-il de petites failles du système et les décideurs s’y engouffrent ? Est-ce des déviances liées aux effets pervers d’un système, qui serait inhérente au capitalisme et à tous les systèmes économique et politique à grande échelle ? Une majorité des acteurs appartenant aux classes dominantes ont des intérêts communs. C’est pourquoi, il n’est pas nécessaire qu’ils s’organisent systématiquement et qu’ils se téléphonent, pour fédérer ses intérêts convergents. La gouvernance capitaliste globale fonctionne majoritairement ainsi dans sa dimension légale. Cependant, certains types d’actions illégales, tels les coups d’États, les élections truquées, elles, sont généralement pensées dès leur origine.

Est-ce que la gouvernance illicite est pensée de A à Z par des décideurs, ce qui relèverait de la théorie du complot à l’échelle nationale, continentale, voir mondiale ? Où est-ce plutôt de nature Involontaire ? Cependant, entre les deux extrêmes de l’intentionnalité pure (la théorie du complot) et du hasard pur, il existe un juste milieu à trouver.

Le degré d’intentionnalité dépend en fait des types de gouvernance et des secteurs mis en jeu. Cependant, le développement du capitalisme mondialisé s’il répond à des mécanismes structurels (le déterminisme des infrastructures économiques (Marx) est aussi pensé par ses élites. Les dirigeants politiques et économiques, qui observent le système capitaliste, voient les erreurs du système, mais ne les corrigent pas toujours, en particulier lorsque les dysfonctionnements (les injustices) les avantagent. Par exemple, la déréglementation entraîne une baisse de la protection des conditions de travail, une flexibilité du marché du travail et une précarisation des travailleurs et leurs désyndicalisations du fait de la sous traitance5. Il y a deux façons d’expliquer les changements des rapports sociaux. Sous un angle économique, on dira que l’origine est la concurrence, et la réorganisation du travail et de la production pour y faire face (sous traitance, intérimaire, précarisation, mise au chômage, délocalisation…). A l’inverse sous l’angle de la politique du travail, on peut affirmer que c’est une stratégie préméditée ou une réalité constatée par les dirigeants d’entreprises, puis qui a été renforcée, mais que rien n’a été fait au contraire pour enrayer ces pratiques, dans la mesure où cela tend à briser l’organisation syndicale… Il n’a pas été pensé pour cela au début, mais a été utilisé pour cela ensuite.

En un mot les changements dans les rapports de forces entre classes dominantes et syndicats (localement ou mondialement) sont soit prémédités, soit le fruit d’un hasard desservant les salariés. A partir du constat que l’augmentation du nombre de chômeur, limitait l’inflation, donc exerçait une pression vers le bas sur les salaires, les intellectuels néolibéraux ont théorisé le taux de chômage n’accélérant pas l’inflation NAIRU (Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment). D’un constat fait ‘’par hasard », ils en ont fait un instrument intentionnel au service de leurs intérêts.

Les décisions illicites sont-elles centrales ou secondaires et périphériques ? Ces décisions sont-elles décisives, importantes, centrales vis-à-vis de l’orientation générale de la société ? La majorité de l’opinion publique, des médias et des scientifiques, considère que la gouvernance illicite existe, mais reste vraiment à la marge. Ils considèrent que la corruption a toujours existée et qu’après tout c’est une façon de s’enrichir comme une autre. Selon cette conception, les plus malins y parviennent, donc ils méritent un peu de s’enrichir et de dominer, mais ce n’est pas un problème, car cela ne change rien à l’orientation générale de la société.

Mais, il existe peu de recherche abordant la question de la gouvernance illégale et non démocratique sur un plan quantification et structurelle. Il y a beaucoup d’études de cas, mais, qui ne montre pas forcément un système une approche chiffrée et quantitative, mais, qui se limite par exemple aux détournements financiers. En effet, il est difficile de chiffrer la centralité, l’importance d’une décision politique ou économique.

Mais, un faible nombre d’actions illégales, si elles déterminent l’orientation à long terme d’un politique nationale, deviennent alors fondamentales, telles que des élections truquées par exemple. Pour la sociologie néo-gramscienne des élites, le pouvoir de la classe des élites françafricaines est fondé sur un pouvoir spatial pyramidal et la propriété privée des moyens de production et d’échanges (le capitalisme). Il s’appuie sur un système dominé par une classe minoritaire d’élites économiques et des pouvoirs publics. Cependant, le déterminisme économique et politique domine majoritairement la liberté de la classe des élites, même si elles conservent une part de liberté individuelle. Une majorité de ces pouvoirs de la gouvernance globale s’exerce de manière légale, mais une autre partie non négligeable reste adémocratique, voire illégale.

Les théoriciens du complot se centrent sur l’analyse des élites économiques et des élites des pouvoirs publics. Cependant, ils négligent généralement d’en différencier l’orientation ordo-libérale (sans le social) ou social-démocrate. Car ils estiment cela souvent secondaire, par rapport à la dimension adémocratique, voire illégale de leurs actions. De plus, à l’instar des théories de l’individualisme méthodologique, ils sous-estiment le déterminisme des structures et surestiment la liberté des individus que sont les élites. Les théoriciens du complot sont critiqués généralement, parce qu’ils généralisent abusivement à partir de faits, mais aussi, parce qu’ils se réfèrent à des faits, qui sont parfois erronés. Lorsque ces faits sont vrais, dans ce cas, ils choquent l’opinion publique, qui ne connaissait pas ces informations. Ou bien elle ne parvient pas y croire, car ces données se révèlent trop éloignées de ce qu’elle connaît du réel, à travers les médias dominants. C’est pourquoi les théoriciens du complot cherchent surtout à rendre visibles les faits du pouvoir de la classe des élites, qui sont cachés à l’opinion publique. Cependant, même si un fait parvient à être prouvé scientifiquement, tant que les médias n’en parlent pas largement, ce fait est généralement considéré comme une thèse relevant de la théorie du complot, car le « sens commun » prime. Par exemple, cloner une brebis serait considéré comme une théorie fumeuse par le commun des mortels, si les médias n’en avaient pas parlé ensuite. Nous choisissons de nommer les théoriciens du complot ainsi et non pas les conspirationnistes, car leur but est bien de s’opposer aux conspirationnistes réels que sont certaines élites économiques ou politiques. Ils ne créent donc pas des conspirations concrètes. Même si parfois, ils imaginent des conspirations qui n’existent pas toujours.

La sociologie, la science politique, de même que l’économie appuient aussi leur raisonnement sur les faits, mais elles cherchent à rendre visibles les structures qui restent invisibles, par manque de théorisation. Les scientifiques n’étudient que rarement la structure du pouvoir des réseaux entre élites, car ils considèrent que le pouvoir des individus et des alliances en réseaux est secondaire, par rapport aux pouvoirs des structures capitalistes (pour les marxistes) ou des structures étatiques (pour les politologues néo-réalistes). Bien qu’ils aient raison, ce n’est néanmoins pas suffisant, pour négliger ce champ du pouvoir, qu’est celui du pouvoir des réseaux entre élites.

A l’inverse les théoriciens du complot se focalisent généralement sur le pouvoir des réseaux et des complots, ce qui contribuent à faire oublier que la cause principale des problèmes actuels relève du capitalisme. Ce qui explique que depuis la fin du XXe siècle, les théories du complot connaissent un regain de popularité, notamment à cause de la croissance de la mondialisation. Ce courant se centre principalement sur le pouvoir des réseaux entre élites plus ou moins cachés, pour expliquer l’orientation de la mondialisation et les grands évènements de la marche du monde. À l’inverse, les économistes marxistes et les politologues refusent d’étudier ces réseaux de manière scientifique et surtout empirique, c’est-à-dire en s’appuyant sur des cas précis. Notamment, pour ne pas être accusés d’être des théoriciens du complot.

Voici un tableau qui synthétise ces différentes analyses du pouvoir mondial, mais aussi du pouvoir national.

comparaison des méthodes d’analyse du pouvoir national et mondial (gouvernance globale)

économie marxiste

sociologie politique néo-réaliste

sociologie néogramscienne

des élites

théoriciens

du complot

Nature du pouvoir mondial dominant et type d’objet d’étude

L’économique

L’Etat

L’Etat et l’économique

Plus individuel qu’étatique

et plus étatique

qu’économique

Moyen d’exercice du pouvoir

Pouvoir de la propriété privée des moyens de production

Pouvoir de la classe dirigeante fondé sur un pouvoir spatial pyramidal

Pouvoir de la classe dirigeante fondé sur un pouvoir spatial pyramidal et la propriété privée des moyens de production

Pouvoir de la classe des élites fondé sur un pouvoir spatial pyramidal

Analyse des pratiques adémocratiques

de la classe des élites

Faible

Moyenne

Forte

Forte

Analyse

des pratiques illicites

de la classe des élites

Très rare

Très rare

Forte

Forte

Analyse du système

ou des individus ?

Système économique

Système politique

Système des classes dirigeantes économiques et des pouvoirs publics

Individus économiques et politiques

Pouvoir au système

ou aux minorités ?

Pouvoir du système économique

Pouvoir d’une minorité (les élites), grâce à un système politique

Pouvoir d’une minorité (les élites), grâce à un système économique et politique

Pouvoir d’une minorité (les élites)

Orientation politique de la classe dirigeante

Capitalisme néolibéral

Ne prend pas vraiment en compte le capitalisme néolibéral

Capitalisme néolibéral mais surtout opportuniste

Ne prend pas vraiment en compte le capitalisme néolibéral

Analyse des structures ou des faits ?

Structures et faits

Structures et faits

Structures et faits

Faits

Liberté ou déterminisme ?

Déterminisme économique dominant la politique et les classes des élites

Déterminisme des structures politiques dominant l’économie et la liberté de la classe dirigeante

Déterminisme économique et politique dominant la liberté de la classe dirigeante

Liberté de la classe dirigeante dominantes sur les structures

Le système ou les accords cachés

(les complots) ?

Le système domine et les accords cachés ne sont pas étudiés

Le système domine et les accords cachés ne sont pas étudiés

Le système prédomine, mais les accords cachés sont étudiés aussi

Les accords cachés dominent au point de supplanter le système, voire de devenir la cause unique

Rendre visibles les structures ou les faits ?

Rendre visibles les structures par la théorisation

Rendre visibles les structures par la théorisation

Rendre visibles les structures par la théorisation

Rendre visibles les faits cachés volontairement

1 Nous définirons un complot comme une action menée secrètement par un ou plusieurs individus à des fins privilégiant leurs intérêts sur ceux des autres. C’est donc assez proche de la définition de la manipulation. A la différence de la pédagogie, qui suppose de ne pas toujours expliquer par exemple aux enfants éduquées, toutes les stratégies cachées du pédagogue, mais cette fois ce sera au service des enfants.

2 LASCOUMES Pierre, NAGELS Carla, Sociologie des élites délinquantes, De la criminalité en col blanc à la corruption politique, Armand Colin, 2014.

3 GAYRAUD Jean-François, Le nouveau capitalisme criminel, Odile Jacob, 2013.

4 CHAVAGNEUX Christian, PALAN Ronen, Les paradis fiscaux, La découverte, 2012.

5 THEBAUD MONY Annie, « La précarité moderne, Changer le travail », Politis, La revue, Avril-Juin 1994.

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